Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Menaces d’assèchements des agences de l’eau. Gestion de l’eau en France: « Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Tribune de Jean Launay et Michel Rocard.

publié le26 septembre 2013

Après que l’Etat ait décidé d’une saignée de 210 millions d’euros dans le prochain budget 2014 des 6 agences françaises de l’eau, certains redoutent que ne soit démantelé cet outil de gestion décentralisé par grands bassins d’alimentation. C’est l’objet de certains rapports parlementaires comme celui du député Lesage.

En effet, depuis la loi sur l’eau de 1964 créant ces agences, le principe de base a toujours été : « L’eau paie l’eau ». Si Bercy commence à faire main basse sur le produit des factures d’eau et d’assainissement pour alimenter budget général de l’Etat, rien ne va plus.

C’est ce que dénoncent de concert Jean Launay, président du Comité National de l’Eau (CNE) avec la complicité de Michel Rocard que tout le monde connaît.

A noter que certaines associations comme « UFC-Que choisir » et la « CLCV » remettent également en cause les prélèvements excessifs des agences de l’eau, trop ciblés sur les familles.

JR

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Gestion de l’eau en France : Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Par : Michel ROCARD, ancien premier ministre ; Jean LAUNAY, député du Lot, président du Comité National de l’Eau (CNE)

La démocratie de l’eau est une réalité. L’eau doit rassembler au lieu de diviser. Il appartient au politique d’instaurer la confiance et d’améliorer ce qui peut l’être, et non d’instiller de la défiance entre les acteurs de la communauté de l’eau. C’est ce que nous croyons utile de rappeler, alors que la conférence environnementale des 20 et 21 septembre prochains va en particulier traiter du thème de l’eau.

Or, par un étrange hasard, plusieurs rapports parus au début de l’été remettent en cause les principes fondamentaux du modèle français de l’eau.

Rendu public le 4 juillet 2013, le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoire conteste l’existence des agences de l’eau dans leur forme actuelle et propose de remettre dans le budget de l’Etat ce qui est géré historiquement au niveau des bassins hydrographiques. Cette position est en partie partagée par le député Michel Lesage dans son rapport qui veut à tout prix prouver que ce secteur est mal géré et dénonce, souvent péremptoirement, l’existant. Ce qui nous est proposé est donc tout simplement de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Nous dénonçons ces attaques récurrentes, injustes et inutiles dont fait l’objet le modèle français de l’eau. Elles portent le germe de la déstabilisation d’un système décentralisé et déconcentré dont nous sommes fiers. Elles remettent en cause le principe selon lequel « l’eau paie l’eau, et seulement l’eau» .

La loi sur l’eau, créatrice du modèle français de l’eau fut promulguée le 16 décembre 1964. Ce module est anticipateur de la décentralisation et de la gestion par bassin versant désormais imposée par la Directive Cadre de l’Union Européenne sur l’eau de 2000 et donnée en exemple par les Nations Unies comme cadre pertinent pour toutes les politiques de l’eau dans le monde. Cela tient pour l’essentiel à ce que cette loi a eu l’immense avantage d’introduire, ce qui fut une première mondiale, le principe pollueur payeur dans le droit public. Ce principe fut constitutionnellement validé en France par l’incorporation de la Charte de l’environnement dans le préambule de la constitution lors d’une réunion du Parlement en Congrès à Versailles le 28 février 2005. Quelques années plus tard, l’OCDE en fit la recommandation générale à tous ses états membres. Le système ainsi créé est aussi un modèle exemplaire de concertation et de démocratie qui fait écho aux souhaits du premier ministre dans ce domaine. En effet, la gouvernance des communautés de bassin, des commissions territoriales et des commissions locales de l’eau, repose sur l’écoute et l’implication de tous les acteurs (institutionnels, usagers, socio-professionnels). Le Comité National de l’Eau lui-même est le lieu de synthèse de toutes ces instances. Curieuse attitude que celle de certains auteurs de ces rapports qui consiste à se taire dans les instances de concertation pour mieux intenter ensuite des procès injustes et inutiles.

Certains constats peuvent, certes, être partagés. Dans un contexte économique qui impose une plus grande efficacité des politiques publiques, l’évaluation de notre politique de l’eau est indispensable. Nous soutenons les démarches d’évaluation en cours voulues par le gouvernement. Mais l’Etat doit cesser de se méfier de lui-même et de ses représentants ; les agences de l’eau sont des établissements publics !
La modernisation de la vie publique nécessite par ailleurs que le bras financier de l’Etat à Bercy accepte vraiment la décentralisation et fasse enfin confiance aux territoires et à leurs acteurs dans toute leur diversité. L’Etat doit avoir le courage de prendre en compte les réalités qui se vivent sur les territoires. C’est en leur sein que s’articulent les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable.

L’analyse du Conseil des Prélèvements Obligatoires est injuste. Elle fait fi de deux éléments clés : face à la dictature budgétaire du court terme, les politiques de l’eau s’inscrivent dans la durée, respectent l’esprit de la Loi Organique sur les Lois de Finances (LOLF) grâce aux programmes pluriannuels ; de plus, selon l’application du principe de subsidiarité, les agences adaptent aux enjeux locaux les dispositifs que sont les aides (subventions et avances remboursables) et les redevances.

Plafonner ou rebudgétiser les ressources des agences de l’eau, c’est-à-dire transformer un prélèvement dédié à l’amélioration de la qualité de l’eau en un nouvel impôt national anonyme, ne sont pas des évolutions souhaitables. Parce qu’elle représente le coût de la pollution, la redevance n’est pas un impôt et ne doit pas l’être. La situation budgétaire et financière de notre pays exige certes des efforts, mais le prélèvement de 10% prévu par l’Etat sur le budget des Agences de l’eau pour l’année 2014, soit 210 millions d’Euros, relève plus du hold-up que d’une mesure d’assainissement des finances publiques ; cette pratique avait déjà été employée en son temps par Roselyne Bachelot (Gouvernement Raffarin) et nous l’avions dénoncée ! Car elle pénalise les investissements publics nécessaires, financés, et qui génèrent de l’activité économique, de la croissance et donc des emplois non délocalisables. Preuve que les vieux démons recentralisateurs sont à l’œuvre. Il existe pourtant d’autres solutions, par exemple par le renforcement du rôle des agences dans la prise en compte de l’ensemble du cycle de l’eau et incluant la lutte contre les inondations. Nous sommes convaincus que les agences et les bassins, leurs acteurs, sont prêts à gérer les nécessaires évolutions et les enjeux nouveaux. La confiance que le gouvernement recherche repose sur la résolution des vrais problèmes des français : l’emploi et le pouvoir d’achat ; raison de plus pour s’y attaquer, sans perdre de temps à défaire ce qui ne marche, finalement, pas si mal.

NDLR
Cette tribune a également fait l’objet d’un article dans l’édition numérique du journal LE MONDE – édition du 20 septembre.