Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Zones humides : jurisprudence contre un arrêté d’autorisation préfectoral y portant atteinte avec des mesures compensatoires insuffisante. (ZAC Technologia Vesoul 70)

publié le28 février 2011

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANÇON, statuant au contentieux


Lecture du 13 décembre 2007, (séance du 29 novembre 2007)

no 0700637

Commission de protection des eaux de France-Comté

M. Fabre, Rapporteur
Mme Tissot-Grossrieder, Commissaire du GouvernementLe Tribunal administratif de Besançon,
(1ère chambre)

Vu la requête, enregistrée le 20 avril 2007, présentée par la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE, sise 3 rue Beauregard à Besançon (25000) ; La COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE demande au Tribunal :

— d’annuler la décision par laquelle le préfet de la Haute-Saône a implicitement rejeté sa demande figurant dans sa lettre du 20 décembre 2006 par laquelle elle lui demandait de prescrire, à la suite de l’arrêté no 1691 du 27 juin 1999 autorisant au titre de la loi sur l’eau les travaux à entreprendre par la ville de Vesoul pour la création de «Vesoul Technologia» sur son territoire, «des mesures réductrices et compensatoires sérieuses et suffisantes pour assurer notamment la préservation des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et suivants du code de l’environnement, ainsi que le respect du SDAGE» et pour ce faire d’imposer les prescriptions complémentaires suivantes : préservation des zones humides encore existantes à ce jour, compensation intégrale des surfaces de zones humides perdues sur des sites géographiquement proches et mesures de suivi du milieu récepteur, la Vaugine, des eaux pluviales de la ZAC pendant et après les travaux ;

— d’ordonner la suspension des travaux prévus et en cours sur les zones humides concernées, dans l’attente de prescriptions de mesures réductrices et compensatoires à définir ;

— d’enjoindre au préfet de la Haute-Saône de prescrire à la communauté de communes de l’agglomération de Vesoul, par arrêté complémentaire en application de l’article L. 214-3 du code de l’environnement et dans un délai de deux mois, les mesures réductrices et compensatoires permettant d’assurer la préservation des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et suivants du code de l’environnement et d’assortir cette injonction d’une astreinte de 200 euros par jour de retard en application de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, jusqu’au jour de l’exécution d’office ; ou dans le cadre des pouvoirs spéciaux de plein contentieux conférés au juge au titre de la loi sur l’eau de prescrire lui-même les mesures compensatoires nécessaires après avis du CODERST ;

— de lui accorder le remboursement de ses frais qui s’élèvent à la somme de 1 880 euros ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 29 novembre 2007 :

— le rapport de M. Fabre, conseiller,

— les observations de M. Morin pour la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE,

— et les conclusions de Mme Tissot-Grossrieder, commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Haute-Saône

Considérant qu’aux termes de l’article 19 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : «Toute demande adressée à une autorité administrative fait l’objet d’un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat […] Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa […]» ; qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : «Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée» ; qu’aux termes de l’article R. 421-2 du code de justice administrative : «Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d’un délai de deux mois à compter du jour de l’expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Néanmoins, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi. La date du dépôt de la réclamation à l’administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l’appui de la requête» ;

Considérant que le préfet de la Haute-Saône oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête ; que l’association requérante ne demande pas l’annulation de l’arrêté du 21 juin 1999 mais celle de la décision implicite du préfet suite à sa lettre en date du 20 décembre 2006 ; que le préfet de la Haute-Saône ne peut donc utilement faire valoir que l’association requérante serait tardive à demander l’annulation de l’arrêté du 21 juin 1999 ; qu’en tout état de cause la requête n’est pas tardive dès lors que le préfet n’a pas délivré l’accusé de réception prévu par l’article 19 de la loi précitée du 12 avril 2000 ; que la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Haute-Saône ne peut donc qu’être écartée ;

Sur les conclusions aux fins d’annulation

Considérant qu’aux termes de l’article L. 211-1 du code de l’environnement : «I. — Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : 1o La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année […]» ; qu’aux termes de l’article L. 211-1-1 du code de l’environnement : «La préservation et la gestion durable des zones humides définies à l’article L. 211-1 sont d’intérêt général. Les politiques nationales, régionales et locales d’aménagement des territoires ruraux et l’attribution des aides publiques tiennent compte des difficultés particulières de conservation, d’exploitation et de gestion durable des zones humides et de leur contribution aux politiques de préservation de la diversité biologique, du paysage, de gestion des ressources en eau et de prévention des inondations notamment par une agriculture, un pastoralisme, une sylviculture, une chasse, une pêche et un tourisme adaptés. A cet effet, l’Etat et ses établissements publics, les régions, les départements, les communes et leurs groupements veillent, chacun dans son domaine de compétence, à la cohérence des diverses politiques publiques sur ces territoires. Pour l’application du X de l’article L. 212-1, l’Etat veille à la prise en compte de cette cohérence dans les schémas d’aménagement et de gestion des eaux» ; qu’aux termes du II de l’article L. 214-3 du code l’environnement : «Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n’étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. Dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, l’autorité administrative peut s’opposer à l’opération projetée s’il apparaît qu’elle est incompatible avec les dispositions du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ou du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, ou porte aux intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 une atteinte d’une gravité telle qu’aucune prescription ne permettrait d’y remédier. Les travaux ne peuvent commencer avant l’expiration de ce délai. Si le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 n’est pas assuré par l’exécution des prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3, l’autorité administrative peut, à tout moment, imposer par arrêté toutes prescriptions particulières nécessaires […]» ; qu’aux termes du XI de l’article L. 212-1 du code de l’environnement : «[…] Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux […]» ; qu’enfin aux termes de l’article 14 du décret no 93-742 du 29 mars 1993 relatif aux procédures d’autorisation et de déclaration prévue à l’article 10 de la loi no 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, devenu l’article R. 214-17 du code de l’environnement : «A la demande du bénéficiaire de l’autorisation ou à sa propre initiative, le préfet peut prendre des arrêtés complémentaires après avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques. Ces arrêtés peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des éléments mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement rend nécessaires, ou atténuer celles des prescriptions primitives dont le maintien n’est plus justifié. Ils peuvent prescrire en particulier la fourniture des informations prévues à l’article 2 ci-dessus ou leur mise à jour. Le bénéficiaire de l’autorisation peut se faire entendre et présenter ses observations dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 7 et au premier alinéa de l’article 8. Le silence gardé sur la demande du bénéficiaire de l’autorisation plus de trois mois à compter de la réception de cette demande vaut décision de rejet» ;

Considérant que, postérieurement à l’édiction de l’arrêté du 21 juin 1999, des études réalisées par ou pour les services de l’Etat ont montré que les surfaces réelles en zones humides n’avaient pas été correctement identifiées et que les zones humides sur le site de la ZA «Vesoul Technologia» étaient bien plus importantes que les 2,5 hectares retenus initialement ; que le préfet lui-même n’en disconvient pas en défense puisqu’il indique que la zone humide concernée par la ZA «Vesoul Technologia» avait été définie «avant les données cartographiques de la direction régionale de l’environnement diffusées en 2003-2004 au service de l’Etat et remises à jour en 2005» ; qu’il n’est pas établi, et n’est d’ailleurs pas allégué, que les mesures déjà adoptées en 1999 seraient suffisantes, y compris pour les zones humides non prises en compte initialement ; que nonobstant la circonstance que l’arrêté du 21 juin 1999 est devenu définitif, en ne donnant aucune suite à la demande de l’association requérante figurant dans sa lettre du 20 décembre 2006, alors que d’une part la préservation et la gestion durable des zones humides définies à l’article L. 211-1 sont d’intérêt général en application de l’article L 211-1-1 du code de l’environnement et que d’autre part la protection des zones humides est un des objectifs du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, le préfet de la Haute-Saône a entaché sa décision implicite de rejet d’erreur manifeste d’appréciation ; que l’association requérante est par suite fondée, pour ce motif, à en demander l’annulation ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre au préfet de déterminer dans le délai d’un mois, à partir de l’ensemble des données qui ont été établies concernant les zones humides et notamment celles dont il n’avait pas connaissance à la date de l’édiction de l’arrêté du 21 juin 1999, l’emplacement et l’étendue précis des zones humides se situant sur le site de la ZA «Vesoul Technologia» ; qu’une fois cette analyse réalisée, le préfet devra ordonner la suspension des travaux prévus ou en cours sur les zones humides qui n’avaient pas été prises en compte dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’arrêté du 21 juin 1999 ; qu’ensuite il appartiendra au préfet de mettre en oeuvre la procédure prévue par l’article R. 214-17 du code de l’environnement en vue de fixer les prescriptions complémentaires qui seraient nécessaires en application des dispositions des articles L. 211-1 et L. 211-1-1 du code de l’environnement ; que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir l’injonction précitée d’une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation» ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser à la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Décide

Article 1er : La décision par laquelle le préfet de la Haute-Saône a implicitement rejeté la demande de la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE figurant dans sa lettre du 20 décembre 2006 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de déterminer dans le délai d’un mois, à partir de l’ensemble des données qui ont été établies concernant les zones humides et notamment celles dont il n’avait pas connaissance à la date de l’édiction de l’arrêté du 21 juin 1999, l’emplacement et l’étendue précis des zones humides se situant sur le site de la ZA «Vesoul Technologia».

Une fois cette analyse réalisée, le préfet devra ordonner la suspension des travaux prévus ou en cours sur les zones humides qui n’avaient pas été prises en compte dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’arrêté du 21 juin 1999.

Ensuite, il appartiendra au préfet de mettre en oeuvre la procédure prévue par l’article R. 214-17 du code l’environnement en vue de fixer les prescriptions complémentaires qui seraient nécessaires en application des dispositions des articles L. 211-1 et L. 211-1-1 du code de l’environnement.

Article 3 : L’Etat versera à la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE la somme de 1 000 (mille) euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE, au préfet de la Haute-Saône et à la communauté de communes de l’agglomération de Vesoul.