Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

AOC Comté : Un comité Interprofessionnel et des effluents… pas clairs du tout!

publié le10 juillet 2011

Le 16 juin dernier, le collectif « SOS Loue et rivières comtoises » a édité une lettre ouverte au CIGC (Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté), inquiet de voir examiné un projet de déplafonnement des lisiers et digestats de méthanisation en AOP Comté. En effet, « Une telle mesure, en augmentant la part de l’azote hautement lessivable dans les fertilisants, ne pourrait qu’avoir des conséquences très néfastes pour les rivières comtoises déjà bien affaiblies par les pollutions à répétition. L’azote est en effet un des principal responsable du développement algal qui asphyxie nos rivières ». Le collectif s’oppose ainsi fermement « à toute mesure augmentant les risques de pollutions organiques » (extraits du communiqué de presse du 15 juin 2011).

Le collectif appuyait son inquiétude sur des données techniques : la fertilisation minérale étant déjà encadrée par le cahier des charges de l’AOP Comté, toute modification visant à augmenter la part des lisiers dans les fertilisants utilisés conduirait à dégrader la qualité des sols et de l’eau. Il rappelle notamment que l’azote des lisiers est en majorité un azote minéral, ou ammoniacal (NH4+), à la différence de l’azote présent dans les fumiers, dit azote organique. L’absence d’atome de carbone dans l’azote minéral empêche sa fixation dans le sol, et « tout excédent percole irrémédiablement vers les eaux superficielles et/ou souterraines. Cet excès de nutriments concourt à l’eutrophisation et à l’asphyxie des rivières. »

Les conséquences visibles sont connues, car l’apport d’azote minéral favorise le développement de plantes à croissance rapide, d’où un appauvrissement floristique de nos prairies (dominance des pissenlits, les moins sensibles au déséquilibre de la composition des sols), la prolifération algale dans les cours d’eau, consécutivement la mortalité piscicole … quid des conséquences invisibles sur la santé des mammifères et des êtres humains, qui eux aussi consomment cette eau ? Malheureusement, et même si les taux d’intrants restaient les mêmes, le problème s’aggrave d’année en année, car la perte de matière organique des sols, en cas de fertilisation minérale excessive, « affecte le pouvoir épurateur des sols et accentue les fuites de polluants. » L’appauvrissement du terrain est ainsi aggravé, et exige de nouveaux apports de fertilisants… Le cercle vicieux est enclenché ! Il est également possible que le phénomène de colmatage des fonds de rivières soit dû à « l’excédent d’azote notamment sous forme liquide et/ou minérale [qui] entraînerait une sursaturation des rivières en calcaire puis une précipitation. »

Le collectif rappelle que, suite aux pollutions et mortalités piscicoles récentes, il a déposé un recours gracieux, pour dénoncer les insuffisances de l’Etat quant à l’obtention du bon état écologique de nos cours d’eau franc-comtois (Directive Cadre Eau ou DCE), et à la préservation de la diversité floristique (Directive Habitats). Les pratiques agricoles actuelles, et tout projet d’augmentation des taux autorisés d’azote minéral dans les fertilisants, sont directement en cause dans le cas présent. Il est fort étonnant de voir que la filière Comté, pourtant directement liée à la qualité du lait et donc des sols et de l’eau, qui contribuent à l’alimentation des vaches laitières, nie la différence entre les azotes minéral et organique, pour songer à valider un accroissement des lisiers et autres effluents fortement lessivables dans les prairies.

La réponse du CIGC à cette lettre ouverte, signée de son président, Claude Vermot-Desroches, producteur à Cademène (Doubs), affirme que les modifications du cahier des charges de l’AOC Comté vont « dans le sens d’un renforcement du lien au terroir et naturellement du respect de l’environnement ». Pourtant, dans la suite du texte, le CIGC minimise la forte teneur du lisier en azote minéral, estimant qu’il a « été de tout temps [ ???] considéré comme une fumure organique ». Il y a visiblement confusion entre l’origine organique du lisier (déjections de porcs) et sa composition chimique objective (NH4+ = azote minéral ou ammoniacal, le même que celui des engrais chimiques). Certes le lisier permet à l’exploitant de ne pas acheter d’engrais à base d’ammonitrate (NH4NO3), mais cela ne signifie en rien l’innocuité des épandages ! Il est faux de prétendre que le lisier n’est pas en majeure partie composé d’azote minéral.

Le CIGC poursuit en se disant « très sensible à la cause de la propreté de nos rivières régionales » mais se dit aussi impuissant à enrayer le développement de l’utilisation du lisier au détriment du fumier dans l’agriculture française. Or, nous rappelons au CIGC qu’il a parfaitement le pouvoir d’imposer dans le cahier des charges, l’utilisation de fertilisants pauvres en azote minéral (ce qu’il a déjà fait) et ainsi, les intrants en ammonitrates, lisiers et digestats seront automatiquement réduits.

Dans sa conclusion, le CIGC prétend « continuer l’étude du resserrement du cahier des charges du Comté, et [s’]entourer d’expertise juridique et technique sur le lisier […]. » Nous ne pouvons que le féliciter de ces louables intentions, et souhaiter qu’elles ne restent pas… lettre morte !