Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Espèces protégées, chasse, traditions et justice bienveillante : l’histoire d’une partie de chasse ordinaire (!?) à Charquemont (25) aux frontières du Droit et de la Communauté Européenne !

publié le16 avril 2007

Il existe partout des brebis galeuses, chez les chasseurs comme ailleurs.
Abstenons-nous de faire d’autres commentaires. Mais il est flagrant qu’actuellement dans ces milieux, rien n’est fait pour écarter les racailles cygénétiques. Une véritable tradition !

Ceci laisse à penser que les pratiques scandaleuses de destructions d’espèces protégées racontées ci-après sont beaucoup plus répandues qu’on ne croit. Plus grave, ces délits ne sont pas sérieusement sanctionnés : notre « arsenal juridique environnemental » accouche le plus souvent d’une maigre souris… quand il n’avorte pas tout simplement en cours de route !

Chasse et traditions : d’abord celle de l’impunité !

En France malgré un nombre impressionnant de chasseurs (qui prétendent pour le plus grand nombre aimer et défendre l’environnement) très peu d’infractions de chasse concernant la destruction d’espèces protégées viennent devant les tribunaux à la connaissance du juge…

Si les effectifs dérisoires de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) -la police de la chasse- ne peuvent guère augmenter la statistique, ce sont aussi les barrages aux poursuites que constituent les parquets qui bloquent les procédures.

Disposant eux aussi d’effectifs réduits, les Procureurs de la République classent les affaires à tour de bras. A ce niveau, ils devraient d’ailleurs plutôt s’appeler les « Classeurs de la République » puisqu’ils classent plus de la moitié des plaintes des victimes !

Et en ce qui concerne la destruction illégale des espèces sauvages, le record de classement est probablement battu !
Pour les rares dossiers touchant à la destruction d’espèces protégées qui arrivent tout de même devant le juge, les sanctions sont en fin de compte dérisoires. L’histoire développée ici le démontre malheureusement à nouveau …si c’était encore nécessaire de la faire.

La France ne protège pas les espèces protégées !

On n’en vient à la conclusion que contrairement à ce qui se pratique dans les autres pays de l’Union Européenne, la France ne protège pas les espèces protégées !

Quelques rares associations de protection de l’environnement ose cependant braver le lobby de la chasse et tentent de faire appliquer intégralement le droit quand elles ont connaissance d’infractions en matière de destruction d’espèces protégées.

Mais pour obliger la justice à faire son travail, il faut en France se constituer partie civile auprès du juge d’instruction et verser une consignation, souvent très lourde pour une association. La somme consignée, que l’on peut perdre en cas d’échec, est souvent bien plus élevée que la condamnation finale des tueurs d’espèces protégés, même si la plaignante obtient une somme modeste de dommages et intérêt qui, le plus souvent, couvre à peine ses frais !

Et on peut être étonnée que les organisations de chasseurs (fédérations, ACCA) qui mettent si souvent en avant leur « rôle de défenseurs de l’environnement » n’engagent pas elles-mêmes ces procédures devant le juge d’instruction…

Histoire d’une partie de chasse ordinaire (?! ) à Charquemont (25)

Au cours de l’après midi du 12 septembre 2005, deux compères vont s’illustrer dans une étonnante partie de chasse près du village de Charquemont (25). Un chasseur, Patrick Vauthier, titulaire d’un permis de chasse réglementaire, a emmené avec lui Victor Esteves, un non chasseur.

Au cours de leurs pérégrinations, Esteves, pourtant non détenteur d’un permis de chasse, s’est fait prêté par Vauthier son arme au motif de vouloir tirer une grive.

Esteves a épaulé et abattu, non pas une grive, mais un Pic épeiche ! (dendrocopos major), espèce intégralement protégée, comme d’ailleurs tous les Picidés par l’arrêté ministériel du 17 avril 1981.

A la suite de cette grave infraction, on aurait pu penser que Patrick Vauthier, pourtant membre chevronné de l’ACCA de Charquemont, avait immédiatement enlevé définitivement son arme des mains d’Esteves, conscient qu’une faute grave, en l’espèce un délit, avait été commise .

Au contraire par la suite, malgré les faits qui se sont déroulés quelques minutes auparavant, le chasseur Vauthier a de nouveau prêté son arme à Esteves.

C’est ainsi qu’un peu plus tard donc, toujours avec le fusil de Patrick Vauthier, Victor Esteves a encore tué un lièvre brun alors que la chasse à cette espèce était fermée dans le Doubs jusqu’au 16 octobre !

Un sacré coup de fusil, cet Esteves !

On peut être étonné qu’un non chasseur, sache aussi bien utiliser un fusil de chasse ! Il a fait mouche à deux fois sur deux “cibles” très mobiles ! Comment ne pas penser que l’intéressé est en fait un utilisateur assidu du fusil de chasse et du tir sur tout ce qui bouge, espèces protégées ou non !

Cette version des faits, est celle que les deux personnages ont racontée quelques jours plus tard… Mais cela est un autre chapitre de l’histoire.

Aux frontières de la Communauté Européenne : BRAVO aux douaniers suisses !

Ce même 12 septembre, en fin d’après midi, une voiture est stoppée pour un contrôle par les douaniers suisses du petit poste de douane de Biaufond. Victor Esteves est au volant. Il retourne chez lui en Suisse à la Chaux-de-Fond, ville toute proche où il est en effet domicilié.

Dans le coffre de sa voiture, les douaniers découvrent un important stock de gibier : 26 cadavres d’espèces diverses. Il détient d’abord ceux d’animaux pour lesquels la chasse est autorisée : 3 canards colverts, 3 grives, 16 geais. Pour les douaniers, cela n’est répréhensible que pour importation clandestine de gibier en Suisse.

Mais les douaniers découvrent aussi les cadavres encore tout frais d’un lièvre (alors que la chasse au lièvre est actuellement fermée) et ensuite de celui d’un Pic épeiche, oiseau protégé.
Ils y trouvent encore deux cadavres congelés, de Cassenoix mouchetés (Nucifraga caryocatactes). Cette espèce d’oiseau est intégralement protégée au même titre que le Pic épeiche.

Les douaniers suisses (NDLR : que nous félicitons pour leur réactivité exemplaire !) alertent immédiatement la garderie de la faune du canton de Neuchâtel, qui alertera à son tour ses homologues français.

L’enquête de l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage) déterminera que les Cassenoix mouchetés congelés provenaient du congélateur de Patrick Vauthier ! Celui-ci a reconnus avoir « tirés » au cours de la saison de chasse précédente.

Le Nemrod charquemontois et son acolyte se sont fait tirés les vers du nez par les enquêteurs pour raconter leur édifiante histoire.

Si le non chasseur ESTEVES a un bon coup de fusil, par contre le Nemrod Vauthier, réputé pour savoir tirer plus vite que son ombre, n’a pas semble-t-il pour autant une très bonne vision de ses futures victimes ailées. Il a en effet prétendu lors de l’enquête qu’il avait confondus les Cassenoix mouchetés avec des Geais !

Malheureusement pour lui, cet argument ne résiste pas à l’analyse. En effet, la confusion entre ces deux oiseaux est impossible en raison de leur grande divergence de plumage. Et, en tant que chasseur confirmé, Vauthier ne pouvait ignorer qu’il avait l’obligation d’identifier l’animal avant de le tirer.

Apparemment, il semble assez courant de tirer sur tout ce qui bouge et d’identifier ensuite. A sa décharge, il y a tellement peu de sanctions pénales mises en œuvre contre ses pratiques…

Peu courageux, ce Victor Esteves ! N’ayant même pas lui-même de permis de chasser, il a d’abord cherché à nier son implication dans la destruction des oiseaux qu’il transportait illégalement, en accusant son comparse Vauthier. Mais par la suite, il est revenu sur sa déclaration et pour confirmer qu’il était bien l’auteur des faits qui étaient reprochés.

Quand à Vauthier, il a prétendu avoir été fâché par le premier tir d’Esteves sur une espèce protégé. Pourtant, après un bon casse-croûte, il n’a pas hésité à lui prêter son fusil une seconde fois, cette fois pour traquer un lièvre le long d’une haie, puis à donner à son collègue les animaux tués dans la journée et d’autres encore stockés dans son congélateur !

La liste des délits et autres infractions commises est impressionnante :

– Destruction et transport d’animal non domestique – espèce protégée.
Plusieurs délits prévus par les articles L.411-1 et suivants du code de
l’environnement et l’arrêté ministériel du 17avril 1981, réprimés par les
articles L.415-3, L.415-4 et L.428-9 du même code ;

– Chasse sur le terrain d’autrui sans le consentement du propriétaire ou du détenteur du droit de chasse. Infraction prévue par l’article L.422-1 du même code ;

– Chasse sans permis prévue par l’article L.423-1 et réprimée par l’article
R.428-1 et l’article L.428-9 du même code ;

– Chasse en temps prohibé prévue par l’article L.424-2 et l’article 2 de l’arrêté préfectoral relatif à l’ouverture et à la fermeture de la chasse pour la campagne 2005-2006 dans le Doubs et réprimée par l’article L.428-9 du même code.

A l’issue d’une enquête sérieuse, un classement sans suite !

Malgré le nombre et l’importance les délits non contestés par les deux individus, l’affaire a été rapidement classée sans suite par le Procureur de la République du Tribunal de Montbéliard :

– le 19 octobre 2005 pour Monsieur ESTEVES,
– le 2 décembre 2005 pour Monsieur VAUTHIER

La plainte que la CPEPESC avait adressée au Procureur de la République de Montbéliard, est revenue avec la mention « affaire classée » au motif laconique « avertissement / rappel à la loi » !

La CPEPESC ne classe pas !

Scandalisée que le Parquet de Montbéliard se refuse à poursuivre pour faire sanctionner sévèrement une telle accumulation d’infractions et de délits qui a engendré une atteinte inacceptable à la faune sauvage, la CPEPESC porte plainte et se constitue partie civile cette fois auprès du Juge d’instruction contre les individus Vauthier et Esteves le 26 avril 2006.

En effet, il n’est pas tolérable que la justice laisse le milieu naturel fragile subir les conséquences irréversibles de ces pratiques incompréhensibles, imbéciles et moyen-âgeuses. L’action judiciaire est relancée pour que les responsables de ces actes soient véritablement sanctionnés et répondent publiquement du préjudice subi par la nature.

A l’issue de l’instruction du dossier par le juge d’instruction, Patrick VAUTHIER et Victor ESTEVES sont enfin renvoyés devant le tribunal correctionnel de Montbéliard pour être jugés, mais uniquement pour les délits :

– Patrick VAUTHIER pour destruction à CHARQUEMONT, entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2004, d’une espèce protégée, en l’espèce deux cassenoix mouchetés et pour avoir le 12 septembre 2005, été complice du délit commis par Victor ESTEVES d’avoir détruit une espèce animale non domestique protégée, en l’espèce un pic épeiche, en l’aidant ou en l’assistant sciemment dans sa préparation ou sa consommation;
(Délits prévus et réprimés parles articles 121-6, 121-7du code pénal; L411-1, L411-2, L415-3, L415-4, L415-5, 428-9 du code de l’environnement, arrêté ministériel du 17 avril 1981)

– Victor ESTEVES pour destruction d’une espèce animale non
domestique protégée en l’espèce un pic épeiche;
(Délit prévu et réprimé par les articles 121-6,121-7 du code pénal; L411-1, L411-2, L415-3, L415-4, L415-5, 428-9 du code de l’environnement, arrêté ministériel du 17 avril 1981).

Et pour finir : une sanction dérisoire !

Le 19 mars 2007, les deux tueurs d’espèces protégés sont convoqués devant le Tribunal correctionnel de Montbéliard. Le Procureur de la République réclame cette fois des sanctions contre les chasseurs tueurs d’oiseaux protégés. Ceux-ci n’écoperont du juge qu’une amende de 400 euros chacun et la suspension du permis de chasser de Patrick Vauthier pour une durée de six mois !

Les deux délinquants ont en plus de la chance. A la suite d’une erreur de secrétariat, la CPEPESC, partie civile, n’est pas représentée au procès. Elle n’a donc pu s’exprimer à la barre en faveur des oiseaux protégés irrémédiablement détruits.

L’association est la première à regretter cette erreur d’autant que c’est par son action que les destructeurs d’espèces protégés ont eu à rendre des comptes publiquement devant la justice.

Ce que le Procureur déplorera d’ailleurs : « aucun membre ni représentant de la commission en question n’est venu réclamer, oralement ou par écrit, de dommages et intérêts… »

Epilogue

Au plan des sanctions, il faut aussi signaler que Victor ESTEVES a été condamné à payer aux douanes suisses une amende 750 francs suisse pour importation illégale d’animaux.

C’est bien plus que la condamnation française pour la destruction des espèces protégées. On mesure ici le retard de la prise de conscience judiciaire française dans la défense de notre patrimoine naturel vivant commun, et commun à tout les pays européens !