Grenouille rousse: espèce protégée menacée en déclin
Bien que la grenouille rousse soit une espèce protégée ! L’administration s’apprêterait à délivrer des dérogations exorbitantes de prélèvement de grenouilles par les « ranaculteurs ». C’est ainsi que la CPEPESC a pris connaissance des 242 dossiers de demandes de dérogation « ranaculture » en région Bourgogne-Franche-Comté soumis à consultation publique (mise en œuvre de l’article 7 de la Charte de l’environnement). Initialement prévue jusqu’au 18/12/2024, cette consultation ouverte sur internet a été prolongée jusqu’au 20/12/2024, en raison d’un problème technique survenu les 10 et 11 décembre.
L’association a donc déposé les observations suivantes lors de la consultation publique.
« Association agréée de protection de la nature, la CPEPESC a pour objet de susciter et de développer l’étude et la protection de la nature, de l’environnement et du patrimoine en accordant un intérêt particulier à la protection des eaux et des zones humides, mais aussi en s’attachant à protéger toute forme de vie, tant animale que végétale, contre toute cruauté et tout traitement ou action pouvant porter atteinte à l’intégrité physique ou au patrimoine génétique.
Elle est donc pleinement investie dans les dossiers ayant des incidences sur l’environnement et notamment ceux portant atteinte à la conservation de spécimens de faune sauvage, a fortiori si l’espèce considérée est protégée. Ainsi fait-elle d’emblée valoir ici son opposition à toute exploitation d’individus d’espèces protégées à des fins lucratives ou dans le but de satisfaire un intérêt privé et donc à l’octroi de dérogations au statut de protection de la Grenouille rousse.
À ce jour, aucune étude ne permet de statuer sur l’état des populations prélevées, il est donc impossible d’évaluer l’impact de ces prélèvements alors qu’ils se chiffrent en plusieurs centaines de milliers d’individus.
À l’issue du dépouillement des 242 dossiers, ce sont au total 542 080 individus dont il est demandé la capture, pour la consommation personnelle ou la vente, par 124 déclarants différents (certains peuvent faire plusieurs demandes). Pour 110 autres demandes, portant sur des renouvellements à l’identique, ni le site de prélèvement, ni la commune, ni même l’effectif à déclarer n’est mentionné. Le dossier antérieur à renouveler n’étant pas joint, il n’est pas possible de connaître le détail, pourtant indispensable pour une bonne compréhension, de la demande concernée. Il s’agit de près d’1 demande sur 2 (110 sur 242). Enfin, pour 8 demandes à l’identique, seule la commune de prélèvement est renseignée.
Par extrapolation, il convient d’admettre que plus d’1 million de grenouilles rousses pourraient être capturées annuellement par ces quelques 242 ranaculteurs déclarés, prélèvements qui viennent s’ajouter à ceux déjà autorisés dans le cadre de la campagne 2023. Un certain nombre de dérogations sont en effet toujours en cours de validité et il n’en sera demandé le renouvellement qu’en 2026 pour la campagne de capture 2027-2029.
La LPO BFC avait évalué, sur la période 2021-2023, le nombre total de spécimens prélevés légalement chaque année à 1,8 millions. A cela s’ajoutent les actes de braconnage qui restent nombreux chez cette espèce et dont l’impact réel, s’agissant d’activités clandestines, ne peut être logiquement évalué.
Ces prélèvements portent essentiellement sur le territoire de la Franche-Comté, la Bourgogne n’étant concernée que par 7 demandes. Les demandes les plus nombreuses – pour celles qui sont renseignées – concernent le Doubs, 103 au total sur les 571 communes de ce département. Le Jura n’est concerné que par 12 demandes et la Haute-Saône par 8 demandes.
Dans le détail, la CPEPESC relève :
-Que le nombre de captures n’autorise pas à quantifier de façon fiable les populations concernées ; il n’est donc pas possible d’évaluer le taux réel de prélèvement et par conséquent, les conditions posées au 4°e) de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peuvent être raisonnablement remplies ;
-Que 12 déclarants nourrissent les têtards avec des aliments pour bovins pourtant déconseillés : voir demandes n°19446351, 19453699, 19941928, 20389921, 20536674, etc. ; d’autres avec du pain sec (20491542), des farines d’escargots (21178056), des tourteaux (21199974) ou encore des aliments pour poule pondeuse (21159364), régime qui n’est pas davantage conseillé pour des larves ou des embryons d’amphibiens ; clairement, le nourrissage artificiel des têtards est à proscrire ;
– Que plusieurs demandes ont été déposées avec l’adresse mail professionnelle de Monsieur A…… , salarié à la Chambre d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté, au nom et pour le compte de particuliers : 20024847, 20536674, 20537367, 20540436, 20537367, 20538245, 20540436, 20540634, 20542289, 20542888, 20543048, etc. ; l’usage d’une messagerie professionnelle au sein de la sphère privée apparait sinon anormal, au moins déplacé ;
– Que certaines demandes sont irrégulières ou infondées :
o Monsieur B……………, en tant que personne morale, demande à pouvoir capturer, dans le cadre de 7 premières demandes différentes (19724648, 19726196, 20024697, 20027968, 20028703, 20029109, 20029427) un total de 73 200 individus alors que les effectifs prélevés en 2023 (seule année comparative disponible) s’élevaient au total à 14 050 individus seulement ; la CPEPESC en déduit que les effectifs sollicités sont disproportionnés et que ses demandes ne peuvent aboutir ;
o Plusieurs demandes signalent que l’élevage des têtards se fera sur un autre site que celui du prélèvement : 20392460, 20394570, 20394852, 20395198, 20395655, 20396217, etc. ; cette mesure n’est pas acceptable en raison notamment des risques manifestes de propagation de certaines pathologies affectant désormais les populations d’amphibiens ; du reste, il découle de précédentes autorisations délivrées que « les têtards ou les œufs embryonnés doivent être réintroduits dans le plan d’eau d’où proviennent les grenouilles capturées en prenant toutes les précautions nécessaires au bon déroulement des opérations » ;
o Certaines demandes sont incomplètes : par exemple, dans les déclarations 20378279, 20378874, le nom de la commune de domiciliation du pétitionnaire fait défaut ; de telles demandes ne peuvent être instruites et régulièrement validées ;
o Comme déjà rappelé, 110 demandes déposées au titre d’un « renouvellement à l’identique » s’avèrent insuffisantes, puisque ne sont précisés ni le lieu, ni la commune de prélèvement retenus, ni l’effectif sollicité ; le public ne dispose pas d’une information complète, claire et précise et n’est donc pas en mesure d’apprécier concrètement le niveau et l’impact de ces prélèvements sollicités ; tout octroi de dérogation en pareilles circonstances équivaudrait à délégitimer la procédure participative ;
o La déclaration 19681218 portant sur 1500 individus à capturer est motivée comme suit : « je fais la demande en premier lieu pour pouvoir protéger les pontes de grenouilles rousses devenues rares sur les étangs et pouvoir déplacer les pontes qui ont lieu dans des lieux qui s’assèchent trop vite ou trop exposés aux prédateurs (canard et autre faune aviaire très présente) » ; cette demande est irrecevable en l’état ;
o Certains ranaculteurs indiquent que les grenouilles seront vendues vivantes (19460822, 21052889) ; à défaut d’autorisation délivrée à l’acheteur pour le « colportage », ce « débouché » ne peut être autorisé ;
o Certaines sollicitations sont en doublon : c’est le cas par exemple des demandes 20545405 & 20545581, 20604526 & 20605561 et 20910704 & 20914789 qui concernent le même ranaculteur mais un doublon a aussi été relevé entre des ranaculteurs différents (20085714 & 20227074) ;
o Des demandes à des fins non commerciales laissent songeurs : ainsi le n°20359679 déclare, sur la période 2022-2024, des prises oscillant entre 4537 et 6666 et un taux d’utilisation de 82 % à 72 % ; difficile de considérer que les spécimens prélevés sont consommés dans le seul giron familial ;
o Le déclarant 20396670 sollicite le prélèvement de 10 000 spécimens (à des fins supposées commerciales) en arguant que « suite au contrôle effectué en 2023 par la garderie et au vu de leur constatation sur le terrain, cette demande est raisonnable par rapport au potentiel de la population présente » ; sauf qu’il ne produit aucun écrit attestant ses propos ; un autre (21213285) demande à pouvoir capturer 15 000 individus en signalant que l’ancien propriétaire M. ……….. avait un arrêté pour ce site de 15 000 grenouilles valable jusqu’en 2021 ; il fournit pourtant les bilans sur la période 2022-2024 avec des prélèvements qui ne dépassent pas 3000 grenouilles/an ; non seulement sa demande apparait disproportionnée, mais en plus, elle interroge quant à la légalité des captures effectuées entre 2022 et 2024 ;
o Le déclarant 21021602, agriculteur de profession, sollicite la capture de 30 500 grenouilles sur 3 ou 4 plans d’eau ; les prélèvements antérieurs montrent que le taux d’utilisation est proche de 100 % ce qui tend à montrer qu’il n’a qu’une vision commerciale et lucrative du vivant sans objectif de gestion conservatoire des populations concernées.
En guise de conclusion,
– Comme elle l’a déjà constaté, la CPEPESC craint fort que les contributions défavorables laissées dans le cadre de cette consultation publique n’aient qu’une influence limitée sur l’élaboration des décisions.
– Elle n’attend donc pas de miracle.
– Pourtant, le déclin récent de l’espèce, attesté en Franche-Comté par son classement dans la liste rouge des espèces menacées, dans la catégorie « NT – Quasi menacée », l’attention croissante de la société sur la sensibilité et la conscience des êtres vivants, les effets du changement climatique et plus globalement les enjeux cruciaux tenant à la préservation de la biodiversité doivent inciter l’État à y regarder à deux fois avant d’octroyer une dérogation ».
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