Le gouffre poubelle de Rénale enfin « réhabilité »
Résumé de 25 ans d’interventions de la CPEPESC contre la plus vieille décharge sauvage de Franche-Comté
Situé en amont des sources de la Loue (25), à l’origine, le creux de Renale présentait l’aspect d’un pittoresque gouffre béant, d’environ 40 m de diamètre d’embouchure et 18 m de profondeur. C’était une cavité naturelle pittoresque et bien visible dans le paysage. En faisant un peu d’escalade, on pouvait même descendre au fond. Pourtant, à notre connaissance peu d’écrits anciens ont relevé l’existence de cette curiosité.
Cependant, le 28 juillet 1901, dans le « Journal de Pontarlier », G. Clerc, qui était à l’époque directeur des écoles primaires de Pontarlier, relate la première exploration du grand gouffre de Jardel près de Chaffois (25) par l’équipe du professeur E. Fournier. Un étudiant courageux, M. Mansion, est descendu jusqu’au fond. Il a jeté 2 kg de fluorescéine dans le ruisseau qui passe à 120m de profondeur sur un énorme dépôt d’ossements de charognes … Tout le monde suppose que la coloration verte va ressortir dans la Loue (2) à 11 km au Nord-Est , ligne droite jalonnée par, écrit-il, par le gouffre du creux de Renale .
L’article de G. Clerc se terminait par quelques phrases qui méritent ici d’être rappelées en introduction de l’histoire du gouffre Renale transformé depuis un demi siècle, en une énorme poubelle :
« On ne saurait trop qu’applaudir à la circulaire adressée, le 10 décembre 1900, par le ministre de l’Intérieur aux préfets, à propos du captage des eaux et de la protection des sources. Espérons que les maires, s’inspirant de cette circulaire, et frappés de l’urgente nécessité de protéger l’hygiène publique, prendront des arrêtés interdisant de jeter des cadavres d’animaux et des immondices dans les gouffres (1), empuiseux et emboussoirs qui sont nombreux dans notre région. » (2)
C’est donc en toute connaissance de cause que les responsables locaux utilisèrent le gouffre de Rénale, propriété communale pendant des décennies pour y déverser les ordures communales… Quant aux autorités publiques elles fermèrent les yeux… Il est vrai que depuis le professeur Fournier, personne n’eut le courage de dénoncer ces pratiques et surtout d’en demander l’arrêt !
Une poubelle géante.
Le gouffre du creux de Rénale a servi de décharge publique officielle aux communes de Bians-les-Usiers et de Goux-les-Usiers depuis environ 1955 selon les déclarations en 1989 du maire de la commune de Bians-les-Usiers aux gendarmes.
Ce n’en était pas moins une décharge sauvage totalement illégale, le dépôt de déchets dans les gouffres étant interdit dès 1902.
Dès sa création en 1976, la CPEPESC qui s’intitulait alors Commission Permanente d’Études et de Protection des Eaux Souterraines et des Cavernes, s’est intéressée à tous les gouffres servant de dépotoirs ou de charniers. Elle s’est efforcée d’en dresser l’inventaire, procédant de même pour les rejets polluants.
On ne parlait pas encore de nettoyage, l’objectif premier était de stopper l’habitude irresponsable de « jeter au trou ». Dans ce cadre l’association a, à ses débuts, effectué d’innombrables séances de sensibilisation audio-visuelles dans les villages. Ce fut d’ailleurs le cas dans les villages du val d’Usiers.
Pleine d’illusions, les membres de l’association croyaient à l’époque que la seule sensibilisation accompagnée du rappel des risques pour la santé publique ferait avancer les choses.
Mais vite confrontée à l’irresponsabilité, au laxisme et au manque de volonté de la plupart des responsables, la CPEPESC développa rapidement des pratiques plus volontaristes pour faire respecter l’environnement à travers les lois.
Ainsi, le 11 mars 1988, après avoir appris incidemment que la commune de Bians-les-Usiers ne voulait pas adhérer au SICTOM de Pontarlier pour éliminer à l’avenir ses déchets, autrement qu’en les jetant dans le creux Renale, la CPEPESC adresse au maire une lettre officielle. Elle l’interroge sur le respect de la loi du 15 juillet 1975 sur l’élimination des déchets qui s’impose. « En effet, nous avons l’occasion depuis plusieurs années de constater le déplorable état du « CREUX RENALE » et nous ne voudrions pas que de nouvelles ordures viennent s’ajouter à l’immense tas déjà existant. »
Cette lettre pourtant courtoise ne recevra pas de réponse… Elle sera suivie d’une seconde, le 27 mai 1988, cette fois beaucoup plus incisive. Elle rappelle que la situation est délictuelle et menace de saisir la justice.
En ayant été destinataire d’une copie, c’est le Préfet du Doubs qui répond le 9 juin : « J’ai demandé une enquête sur les faits signalés et je ne manquerai pas, le moment venu, de vous communiquer les résultats ».
Sans nouvelle, le 8 février 1989, l’association interroge le Préfet, l’enquête qu’il avait programmée « étant certainement terminée »…
Le 6 mars 1989, M. Jean Michel Mehnert, secrétaire générale de la Préfecture du Doubs répond : « J’ai l’honneur de vous informer que j’interviens auprès du maire afin qu’il prenne toutes mesures nécessaires pour supprimer ce dépôt d’ordures »
Le 29 mars 1989, en l’absence de réponse du maire qu’elle a saisi en vain et sans mesure ferme de la préfecture, l’association décide de porter plainte au sujet de la décharge communale sauvage située dans le Creux de Rénale.
Le 05 mai 1989, interrogé par les gendarmes dans le cadre de l’enquête, le maire reconnaît que la décharge du Creux Rénale fonctionne depuis 1955 et que la commune s’est maintenant décidée à adhérer au Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères de Pontarlier ; ce qu’elle refusait de faire l’année précédente. Le maire s’engage lors de son interrogatoire à supprimer la décharge du « Creux Rénale » dès que les ramassages d’ordures seront effectués par le Syndicat en septembre 1989.
Après avoir pris connaissance de l’engagement du maire, le Président de la CPEPESC déclare aux gendarmes le 21 juin 1989 que « l’association a décidé d’un commun accord de ne pas maintenir sa plainte dans la mesure ou le maire s’est engagé à supprimer cette décharge ».
Les portes fermées… la réception des ordures continue.
Le 28 septembre 1989, le maire prend effectivement un arrêté de fermeture.
Mais dès le 6 novembre 1989, les gendarmes constatent que si les deux portes de la haute clôture grillagée qui entoure le gouffre, ont été soudées, sur l’une il n’y a déjà plus de grillage et que des ordures de toutes sortes (des déchets ménagers aux carcasses de voitures) descendent dans le gouffre sur 40 m et en obstruent le fond.
Le 28 novembre 1989, le maire entendu à nouveau par les gendarmes déclare que pour la remise en état, il vient de demander le concours financier du Département et de la Région et qu’une entreprise locale va réparer la clôture.
Si dans les années 1990, la décharge, dont l’accès a été rendue impossible aux camions bennes n’est plus le réceptacle des ordures ménagères des deux communes, elle continue néanmoins à recevoir des dépôts sauvages de déchets jetés par les trous du grillage en particulier les bidons de pesticides après usage.
En 1990 et 1991, la CPEPESC fonde un grand espoir sur le recensement qu’elle réalise avec l’aide d’autres associations, à la demande du Conseil Régional de Franche-Comté et des départements du Doubs, de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort.
Le gouffre poubelle du Val d’Usier, site sensible, n’y est pas oublié…
Et la remise en état promise en 1989 n’arrive pas.
En mai 2000, la CPEPESC qui a laissé suffisamment de temps aux responsables communaux pour agir, décide d’entrer à nouveau en action après une sortie de terrain sur le site. Le gouffre dépotoir reçoit encore des déchets : Les grillages sont encore grandement ouverts en plusieurs endroits, situation que l’association dénonce le 1er mai à la préfecture par courrier officiel, photos à l’appui :
« …ce gouffre reçoit à nouveau des déchets de toutes sortes.
Nous souhaitons donc que vos services interviennent vigoureusement auprès de la commune concernée qui ne peut ignorer cette situation, puisque ce gouffre béant, situé le long d’un chemin carrossable à quelques centaines de mètres du village, est connu de tous. Comme le prévoit la loi, les déchets qui n’ont rien à faire en ces lieux doivent être évacués et le gouffre nettoyé. Cette situation n’est pas acceptable ».
A la suite les services préfectoraux demandent par écrit au maire le 15 mai 2000, « de bien vouloir faire connaître rapidement les mesures que vous envisagez de prendre en vue de supprimer ce dépôt d’ordures et réhabiliter ce site, qui constitue, du fait de sa situation en amont des captages de la Loue, une source de pollution importante ».
Mais rien de changer vraiment sur le terrain. Ainsi le 8 décembre 2002, lors d’une nouvelle sortie de terrain, la CPEPESC constate que « Le grillage sur le pourtour est bien en place, mais qu’à au moins 3 endroits, dont à chacune des portes, il y a un trou permettant à une personne de rentrer dans l’enceinte et d’y déposer des déchets. Au fond du gouffre, une grande quantité de vieille ferraille en place depuis de nombreuses années, mais surtout dépôts de déchets divers dont beaucoup de jerricanes et bidons plastiques divers et récents (genre désherbant, produits chimiques…) ».
Par la suite, l’association apprend que le site de la décharge du Creux Rénale fait l’objet d’un travail d’inventaire de l’ADEME et comme d’autres doit enfin être réhabilité, non pas par la commune, mais par le Syndicat mixte de collecte des ordures ménagères du Haut-Doubs (SMECOM).
Le 5 septembre 2005, pour s’informer de l’avancement du projet de réhabilitation du gouffre poubelle, la CPEPESC s’adresse au préfet responsable de la police des installations classées :
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir nous faire connaître ou en est au regard de la police des installations classées l’opération, normalement en cours, de résorption de l’ancienne décharge du gouffre du Creux de Rénale, située sur le territoire de Bians les Usiers, et dont vous trouverez ci-joint des photos de la situation actuelle » (septembre 2005).
Notre association souhaite en effet que ce site soit réhabilité sérieusement, en raison de sa situation : Ce gouffre poubelle jalonne en effet avec le gouffre de Jardel à Chaffois, un drainage souterrain karstique majeur de l’alimentation de la source de la Loue…. »
Le 29 septembre 2005, « la Voix du Haut-Doubs » , titre « Décharge du Creux Rénale : la coupe est pleine ! »
Le 17 mars 2006, le préfet communique à l’association un rapport de l’ADEME daté du 26 janvier 2006 : « Après les réunions de concertation du 6 octobre 2005 , 16 novembre 2005, et 8 décembre 2005, les cabinets … ont présenté le rendu de la phase 3, soit la définition des travaux de réhabilitation à mener sur les différentes décharges (du secteur).
Pour la décharge du « Creux de Rénale », un traçage a été fait en décembre 2005 pour définir les bassins récepteurs, cependant il est demandé de nettoyer le site des gros objets encombrants qui jonchent le sol sans toucher au cône de déjection pour éviter tout relargage de matière dans la perte. Les travaux permettront le reprofilage et la réintégration de cette ancienne décharge dans le milieu naturel. Un dossier de demande de subvention va être déposé à L’ADEME pour participer aux travaux de réhabilitation qui seront menés dans les prochains mois. »
Pour le traçage dont il est question, il s’agit d’une expérience de coloration des eaux par un bureau d’étude. La coloration est ressortie non pas dans la source principale de la Loue mais dans une source secondaire située 100 m en aval en rive gauche, dans un vestige de galerie artificielle voûtée.
Lors d’une sortie de terrain, le 29 avril 2007, l’association constate que le gouffre n’a toujours pas été nettoyé et reçoit toujours des déchets dont certains sont même toxiques. Photos !
Mais en juillet 2007, un membre de l’association signale que les travaux sont en cours de réalisation. Le creux de Rénale va essayer de reprendre l’aspect d’un site naturel presque comme les autres…
Mais, il faudra certainement encore des dizaines d’années pour que tous les déchets anciens maintenant entassés sous la pente « reprofilée » du cône de déjection du creux Renale achèvent de se neutraliser… et de distiller vers la Loue !
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Le creux de Rénale restera pour encore longtemps le tombeau néfaste d’une énorme poubelle qui va dormir sous son cache-misère !…
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(1) On jetait autrefois les cadavres d’animaux morts de maladies dans les gouffres contaminant ainsi les sources (voir article sur les gouffres charniers).
(2) « Rien n’a été vu à la source de la Loue, car la coloration a dû passer de nuit, mais à Ouhans, village alimenté à l’aide de turbines qui remontent les eaux de la source de la Loue, la coloration a été observée » (1902, E. Fournier)
(3) Dans ses publications, le Professeur E. Fournier citera au début du 20° siècle à nouveau Renale à plusieurs reprises dans le même contexte (1902, 1919, 1923).
NDRL . Un article sur ce sujet a été publié ultérieurement :Distilation au dépotoir enterré du creux Renale à Bians-les-Usiers (25)