Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Un papillon, le Cuivré des marais, au secours des prairies humides

publié le15 août 2020

Le 5 mai 2017, la CPEPESC signalait à la préfecture un retournement de prairies d’une dizaine d’hectares sur les communes de MALVILLERS et de LAVIGNEY en Haute-Saône en bordure du cours d’eau de la Sorlière avec suspicion de drainage en raison de la présence d’un bassin tampon destiné à recevoir les eaux de drainage avant rejet dans le milieu naturel.

Après vérification, si un projet de drainage a bien été initié par l’exploitant, le GAEC des Prottes, comme en témoigne le dossier de demande déposé en octobre 2016, celui-ci n’a pas encore abouti à ce jour. Ce projet prévoyait de drainer une surface de l’ordre de 13ha 40a au niveau des lieux-dits les Vaclères (sur Lavigney) et la Vaclère(sur Malvillers).

Mâle « défraichi »de Cuivré des marais observé le 14 aout 2017 (© CPEPESC FC). A l’arrière plan s’observe le champ de maïs qui a remplacé les prairies naturelles.

Destruction de l’habitat du Cuivré des marais

Il n’en reste pas moins que les prairies retournées constituaient l’habitat d’une espèce de papillon intégralement protégée en France, inscrite aux annexes II et IV de la Directive Habitats/Faune/Flore 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 et classée en catégorie NT (Near Threatened – Quasi menacé) dans la liste rouge régionale des papillons de jour, le Cuivré des marais Lycaena dispar . Des investigations de terrain ont en effet révélé la présence d’imagos de cette espèce au niveau de l’écoulement naturel (ru de la Fortelle) qui débouche sur la prairie humide riveraine, en limite de la parcelle retournée, au sud. La présence de ce Rhopalocère sur le parcellaire litigieux, notamment au niveau de la zone submergée pendant une bonne partie de l’année et le long des thalwegs les plus humides, ne fait aucun doute au regard des spécificités du milieu.

De plus, à la suite d’une visite sur les lieux en janvier 2018, la CPEPESC a pu constater que l’exploitant avait procédé à de nouveaux travaux le long de la ripisylve de la Sorlière, qui a été girobroyée sur environ 200 ml, ce qui constitue une atteinte à l’habitat d’espèces de passereaux protégés [Bruant jaune, Pie-grièche écorcheur, Tarier des prés (en transit), Roitelet huppé] et que l’écoulement naturel (ru de la Fortelle) qui traverse le parcellaire ne disposait d’aucune bande enherbée pourtant exigée depuis la publication de l’arrêté ministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime et de l’arrêté préfectoral du 4 août dernier pris pour son application en Haute-Saône. A ce titre, la présence d’une surface végétalisée permanente ou d’une zone non traitée (ZNT) d’une largeur minimale de 5 m le long des cours d’eau et points d’eau est rendue obligatoire.

De tels travaux, au regard de leurs impacts respectifs, ne pouvaient être menés sans disposer d’une dérogation à l’interdiction de détruire, altérer ou dégrader les habitats naturels concernés en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, demande qui n’a jamais été déposée.

Ajoutons que l’arrêté du 21 février 2017 portant désignation des zones vulnérables à la pollution par les nitrates d’origine agricole dans le bassin Rhône-Méditerranée classe les communes de MALVILLERS et de LAVIGNEY en zone vulnérable. La culture du maïs particulièrement consommatrice d’intrants agricoles ne s’inscrit absolument pas dans le respect d’obligations découlant de la Directive « nitrates ».

Au vu des éléments rapportés ci-dessus (suppression d’une prairie humide formant l’habitat du Cuivré des marais et altération/dégradation de la ripisylve de la Sorlière), la CPEPESC a donc d’abord demandé à Monsieur le Préfet de mettre en application les dispositions définies au Titre VI du Livre 1er du code de l’environnement en exigeant la remise en état des lieux dès lors que les prescriptions découlant de l’article L. 411-2 du code de l’environnement n’ont pas été respectées.

Ou pour le moins, dans l’hypothèse où ce dispositif du code de l’environnement n’aurait pas vocation à s’appliquer, la CPEPESC a alors demandé à Monsieur le Préfet de mettre en demeure le responsable du GAEC des Prottes de régulariser sa situation sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement dans le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 411-1, en réclamant le dépôt d’un dossier comportant une étude d’incidence ou d’impact faisant apparaître les mesures propres à supprimer ou à compenser les conséquences dommageables sur les formations humides et la biodiversité de cette opération litigieuse.

Annulation du refus d’agir du Préfet

Confrontée au silence récurrent de l’autorité préfectorale, la CPEPESC a saisi le 12 juin 2018 le tribunal administratif d’un recours en annulation contre le refus d’agir du Préfet, conformément aux articles R. 411-1 à R. 411-6 du code de justice administrative.

Après une audience qui s’est tenue le 2 juillet 2020, le tribunal, par décision rendue le 6 août, a annulé le refus d’agir préfectoral. S’il a estimé, à tort, que les éléments produits par l’association ne suffisaient pas à établir que les espèces d’oiseaux cités plus haut étaient habituellement présentes sur les parcelles litigieuses, il a en revanche considéré que l’habitat du Cuivré des marais avait bien été détruit par les travaux de retournement de prairie et qu’une demande de dérogation aurait due, dans ces conditions, être préalablement présentée en application du quatrième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Par conséquent, le tribunal a enjoint à la préfète de la Haute-Saône de mettre en demeure, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement, les responsables des travaux de déposer un dossier de demande de dérogation à la destruction de l’habitat du Cuivré des marais.

Dommage que le tribunal n’ait pas assorti sa décision d’une astreinte qui aurait permis d’envisager une remise en état, seule solution admissible, dans les plus brefs délais.