Le Grand cormoran : un bouc émissaire idéal !
Depuis plusieurs années maintenant, le Grand cormoran Phalacrocorax carbo sinensis a rejoint l’intérieur des terres à la faveur des grands cours d’eau depuis l’Europe du nord. Autrefois rare en Franche-Comté – il avait été éradiqué de presque toute l’Europe au XIXe siècle – cet oiseau aquatique a connu une expansion récente. On l’observe essentiellement en hiver sous nos latitudes mais la présence en été de quelques spécimens est désormais d’actualité. L’effectif hivernal régional avoisine ou dépasse, selon les années, les 3000 individus. Cette population hivernante demeure stable, les comptages bisannuels n’indiquant pas d’augmentation significative.
Depuis son « arrivée » dans notre région, il est devenu la bête noire des pêcheurs amateurs qui lui reprochent ses prédations sur les rivières et ruisseaux. Or, l’impact est loin d’être avéré. Oiseau opportuniste, il s’attaquera de préférence aux poissons les plus abondants comme les poissons blancs ou encore le poisson-chat…et nul ne pourra contester que ces proies sont légion dans les rivières de seconde catégorie (Doubs aval, Ognon, Saône). C’est d’ailleurs l’une des causes du boom démographique du cormoran, parallèlement à la protection sur les sites de reproduction nordiques.
La seule étude disponible qui s’est intéressée au suivi simultané du stock de poissons en place et des prélèvements occasionnés par les cormorans a été réalisée sur le lac de Grand-Lieu. Elle conclue, comme aux Pays-Bas, à un prélèvement modeste, de l’ordre de 5% du stock, et 3% sur l’anguille (site majeur pour la pêche professionnelle sur cette espèce en France).
Quant à l’impact que le Cormoran occasionnerait sur les espèces dites patrimoniales (Salmonidés entre autres), il est négligeable : selon Loïc Marion, chercheur au CNRS, l’étude du contenu stomacal de 1227 Grands cormorans tués lors des tirs de régulation dans 28 départements en France entre 2001 et 2007 montre que le prélèvement sur ces espèces s’avère très peu élevé.
Si le Grand cormoran devait, un jour, ne plus apparaitre, les pêcheurs n’auraient certainement plus qu’à déposer leurs cannes au musée !
Ce n’est pas le Grand cormoran qui a vidé certaines parties du cours de la Loue ou du Doubs de ses poissons, et les fils tendus au dessus des rivières pour lui faire obstacle paraissent aujourd’hui bien dérisoires face à la détresse de ces cours d’eau victimes de problèmes bien plus graves et insidieux : eutrophisation algale, épidémies, cyanobactéries, pesticides, … etc. Le Grand cormoran devrait plutôt être perçu comme une espèce indicatrice de la qualité de la vie aquatique et non comme le concurrent qu’il est aujourd’hui aux yeux de nombreux pêcheurs du dimanche ou professionnels. Mais, s’il devait, un jour, ne plus apparaitre, les pêcheurs n’auraient certainement plus qu’à déposer leurs cannes au musée!
Le problème que peut poser cette espèce est à chercher au niveau des étangs d’élevage piscicoles et les piscicultures.
Sur ces sites, force est de constater que l’impact économique n’est pas anodin. Pour se prémunir contre ses attaques, des quotas de tirs au fusil, fixés par arrêté, sont pratiqués régulièrement mais leur reconduction d’année en année montre bien l’inefficacité de la mesure. Ainsi, si les détenteurs de droit de pêche et les exploitants pensent résoudre le problème à coups de fusil, ils se trompent.
La CPEPESC n’a pas la prétention de posséder la solution miracle, mais elle est persuadée que la résolution du problème « Cormoran » en eau close passera par la mutualisation des moyens, une mise en commun des actions indispensables pour assurer le maintien de l’activité piscicole professionnelle. Sachant que les procédés automatiques ont montré leur limites (système d’effarouchement classiques), une des solutions pourrait consister à garantir a minima le gardiennage des étangs… à la charge d’une personne qui assurerait, par sa seule présence, un rôle dissuasif.
Plutôt que de faire du cormoran le bouc émissaire responsable de leurs problèmes, les pisciculteurs feraient mieux de réfléchir à leurs modes d’exploitation qui deviennent de plus en plus intensifs.
Que dire par exemple de cette production d’alevins destinée à empoissonner les rivières et qui suppose immanquablement de vider les étangs piscicoles de plus en plus tôt en saison condamnant de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau, patrimoniaux ou non, à se tourner vers d’autres sites, hypothéquant ainsi sérieusement leur succès de reproduction.
Que dire encore des déversoirs des piscicultures qui contribuent à polluer directement les rivières (produits de traitement, antibiotiques, déjections fécales, aliments non consommés, azote et phosphore source de détérioration du milieu par sa fertilisation).
Qu’on se le dise, la vie de nos rivières, de nos étangs est indissociable aujourd’hui de celle du cormoran. Une prise de conscience s’avère indispensable…