50% des zones humides françaises ont déjà disparu et cela continue près de Vesoul !
Voici à titre d’exemple le dossier très en cours de la zone humide de la zone industrielle de Technologia près de Vesoul. Il montre la difficulté qu’il y a à obtenir ne serait ce que des mesures compensatoires réelles pour stopper la perte inéluctable de ce patrimoine indispensable.
Dépôt d’un recours amiable
Le 18 avril 2006, la CPEPESC adresse au préfet de Hte Saône un recours amiable contre l’arrêté d’autorisation du 21 juin 1999 pour les travaux de création de la ZA Technologia.
« Par arrêté n°1691, signé le 21 juin 1999, vous avez autorisé la ville de Vesoul à entreprendre les travaux d’aménagement de la ZA Vesoul Technologia. Cet arrêté pris au titre de la loi sur l’eau se réfère aux rubriques suivantes :
* Remblais en zone humide (rubrique 4.1.0.),
* Rejets d’eaux pluviales dans les eaux superficielles (rubrique 5.3.0.),
* Travaux dont le coût estimatif est supérieur à 12 MF (rubrique 6.1.0.),
* Création d’une zone imperméabilisée supérieure à 5 ha d’un seul tenant (rubrique 6.4.0.).
L’aménagement de cette zone d’activités se poursuit encore aujourd’hui avec la mise en service de nouvelles installations (remblais, voiries, etc.) comme vous pourrez le constater sur les clichés ci-joint pris le 2 mars 2006 (pièce n°1) ce qui nous oblige aujourd’hui à saisir vos services.
Dans le cadre de cette extension encadrée par l’arrêté susvisé, une grande partie, sinon la totalité des zones humides du secteur, cartographiées comme telles par la DIREN Franche-Comté (pièce n°2 : cartographie des zones humides) va disparaître sous des tonnes de gravats et de remblais. Ces milieux peuvent être désignés comme des prairies fauchées des sols engorgés ou inondables.
Or, à la lecture de votre arrêté, force est de constater que nulle part ne figurent de mesures propres à compenser la destruction de ces zones humides pourtant visées par la Rubrique 4.1.0. : Assèchement, mise en eau, imperméabilisation, remblais de zones humides ou de marais, la zone asséchée ou mise en eau étant :
1° Supérieure ou égale à 1 ha …-> Autorisation
2° Supérieure à 0,1 ha, mais inférieure à 1 ha -> Déclaration
Aucune mesure palliative n’a en effet été prescrite pour compenser la destruction de ces milieux d’intérêt écologique élevé : si l’aménagement de bassins enherbés vient bien compenser les inconvénients hydrauliques de l’imperméabilisation du site (rubrique 6.4.0.), cette mesure ne peut en aucun cas être prise comme une mesure compensatoire à la destruction passée et avenir des prairies humides (rubrique 4.1.0.).
La récente jurisprudence du Tribunal administratif de Besançon dans l’affaire Peugeot Vesoul rappelle une fois encore que les pouvoirs publics ne peuvent délibérément occulter ou ignorer l’existence des zones humides et qu’ils ont bien l’obligation de veiller au respect des dispositions et des intérêts protégés par loi sur l’eau.
Nous attirons votre attention sur le fait que votre arrêté du 21 juin 1999 a été pris sur la base d’un dossier loi sur l’eau nettement insuffisant, notamment en ce qui concerne le repérage et l’identification des surfaces en zones humides directement concernées par ce projet et les effets de leur remblaiement, que des enjeux forts sont clairement identifiés sur ce secteur de prairies humides, qui accueille par ailleurs des espèces d’intérêt communautaire comme le Râle des Genêts, la Pie Grièche écorcheur et le muscardin (Directive Oiseaux & Directive Habitats) et que la non prise en compte de ces différents intérêts relève de l’erreur manifeste d’appréciation.
Partant du constat avéré que toutes les garanties n’ont pas été mises en œuvre pour respecter les intérêts défendus par le Code de l’environnement, et notamment ses articles L.211-1, L.212-1, L. 214-1 et suivants, et afin de prévenir les effets des remblaiements passés et futurs de zones humides, nous vous demandons, Monsieur le Préfet, de bien vouloir édicter, à la charge du pétitionnaire, des prescriptions réglementaires supplémentaires pour réduire ou limiter les impacts de la ZA au titre de la police de l’eau comme vous y autorise d’ailleurs l’article 6 de votre arrêté : « Des prescriptions complémentaires pourront lui être imposées pour réduire ou limiter les impacts de la ZAC au titre de la police de l’eau et de la pêche. »
Ces prescriptions passent irrémédiablement par l’instauration de véritables mesures compensatoires, seules à même de limiter/compenser le préjudice irréversible que va subir le milieu naturel.
A cet effet, nous vous demandons donc de bien vouloir :
* soit annuler votre arrêté
* soit le compléter par un arrêté complémentaire en prescrivant des mesures compensatoires sérieuses pour palier à la perte d’une importante surface de zones humides, patrimoine naturel irremplaçable dont la préservation est d’intérêt public ».
La réponse du Préfet de Hte Saône
« Par lettre du 18 avril 2006, la CPEPESC avait déposé un recours amiable contre l’arrêté préfectoral n° 1691 du 21 juin 1999 autorisant, au titre de la loi sur l’eau, les travaux à entreprendre par la ville de Vesoul, pour la création de la ZAC «Vesoul Technologia ».
En effet, vous estimez qu’aucune mesure propre à compenser la destruction des zones humides n’a été prescrite et me demandez soit d’annuler l’arrêté du 21 juin 1999 soit de le compléter.
En préalable, il sera précisé que, sur la forme, votre recours formé 7 ans après la prise de l’arrêté préfectoral du 21 juin 1999, n’est pas recevable pour cause de forclusion.
Sur le fond, il sera répondu point par point à vos observations.
D’une part, vous indiquez que l’aménagement de la zone d’activités se poursuit encore aujourd’hui. Ces travaux ont en effet été régulièrement autorisés par l’arrêté susvisé pris à l’issue d’une enquête publique qui s’est déroulée du 09 au 26 avril 1999, d’un avis favorable sans réserves du commissaire enquêteur et d’un avis favorable à l’unanimité du conseil départemental d’hygiène réuni le 10 juin 1999. Cet acte n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucun recours contentieux auprès du tribunal administratif,
D’autre part, vous observez que les zones humides du secteur sont remblayées sans qu’aucune mesure compensatrice ne soit prescrite. Or, les zones humides ont bien été prises en compte à travers la rubrique 4-1-0 et des mesures de précaution et de compensation ont été prévues:
.par le maintien à l’état naturel d’une bande de terrain longeant le cours d’eau «la Vaugine » entre la voie d’accès et le cours d’eau, ceci dans le cadre de la préservation d’une coulée verte le long de celui ci, assurant ainsi une protection de la zone humide correspondante et de la ripisylve. par la réalisation de deux bassins
un à l’ouest (déjà réalisé) d’une capacité de 2100 m3 un au nord (à faire) d’une capacité de 4300 m3 .
Ces bassins sont conçus sous forme de cuvette en dépression naturelle (type bassin sec) avec une tranche de stockage assez faible (0.5 m maximum), ils sont traités de manière paysagère et rétabliront donc un espace naturel caractéristique de zone humide sur lequel se développera une végétation semi-aquatique (observable actuellement sur le bassin ouest existant), et dont le rôle favorisera le traitement des rejets par interception des matières en suspension et dégradation des hydrocarbures.
Par ailleurs, vous estimez que le dossier de demande d’autorisation était nettement insuffisant en ce qui concerne le repérage et l’identification des surfaces en zones humides directement concernés par le projet.
Toutefois, il paraît légitime de se replacer en 1999, date d’étude du dossier de la ZAC «Vesoul Technologia ». La mission inter services de l’eau a jugé le dossier recevable le 12 février 1999 en considération des connaissances de l’époque, notamment s’agissant des zones humides. La cartographie établie par la direction régionale de l’environnement de Franche-Comté est en effet postérieure à cette date puisqu’elle n’a été diffusée aux services de l’Etat qu’en 2003-2004 et qu’elle fait l’objet d’une mise à jour depuis 2005. La réglementation relative à la protection des zones humides a également évolué depuis 1999.
Compte tenu de ces éléments, l’annulation de l’arrêté en question n’apparaît pas justifiée.
Néanmoins dans la mesure ou le pétitionnaire ne respecterait pas les lois et tous les règlements existants ou à intervenir, et s’il apparaît que les travaux de réalisation, ou lors du « fonctionnement » de la ZAC, les mesures destinées à éviter toute pollution du milieu naturel et des milieux aquatiques en particulier s’avéraient insuffisantes ou inadaptées, des prescriptions complémentaires pourraient le cas échéant être imposées au pétitionnaire en application de l’article 6 de l’arrêté. Jusqu’à présent, celles-ci ne paraissent pas s’imposer.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de ma considération distinguée. »
Second recours amiable de l’association adressé au Préfet le 20 décembre 2006
« Monsieur le Préfet,
Par réponse en date du 12 juin 2006, vous avez considéré que « l’annulation de l’arrêté en question », ici visé en objet, « n’apparaît pas justifiée » compte tenu du contexte et de l’époque à laquelle cette décision a été prise.
Vous reconnaissez néanmoins que « dans la mesure ou le pétitionnaire ne respecterait pas les lois et tous les règlements existants ou à intervenir, et s’il apparaît que les travaux de réalisation, ou lors du « fonctionnement » de la ZAC, les mesures destinées à éviter toute pollution du milieu naturel et des milieux aquatiques en particulier s’avéraient insuffisantes ou inadaptées, des prescriptions complémentaires pourraient le cas échéant être imposées au pétitionnaire en application de l’article 6 de l’arrêté ».
Toujours dans votre réponse, et concernant ces éventuelles prescriptions complémentaires, vous estimez alors avec prudence que « jusqu’à présent, celles-ci ne paraissaient pas s’imposer ».
Si notre association ne partageait déjà pas ce point de vue à cette période, l’avancée des travaux et la poursuite des opérations de remblaiement en cours ces derniers mois, ont depuis confirmé la destruction d’au moins 3 ha supplémentaires de zones humides.
Or, à l’évidence, aucun élément du dossier de demande initial, ni aucune disposition de l’arrêté du 21 juin 1999 ne prévoit de mesures nécessaires à la compensation effective des surfaces de zones humides récemment détruites. Et ce, sans même parler des surfaces restantes, encore actuellement à l’état de prairies humides, dont le remblaiement doit se poursuivre dans les prochains mois, la fin de cette nouvelle tranche de travaux étant annoncée sur le terrain pour l’été 2007.
Par ailleurs, vous ne pouvez raisonnablement continuer à soutenir que « les zones humides ont bien été prises en compte à travers la rubrique 4-1-0 » et que des « mesures de précaution et de compensation ont été prévues » (à savoir : « maintien à l’état naturel d’une bande de terrain » et « réalisation de deux bassins ») en estimant que celles-ci sont suffisantes.
Le fait que la mission inter-services de l’eau ait, en 1999, « jugé le dossier recevable » eu égard à ses « connaissances de l’époque », ne dispense en rien l’Etat d’actualiser aujourd’hui ses prescriptions au regard de la cartographie DIREN des zones humides, ainsi que des résultats d’études postérieures réalisées sur cette même zone, chacune en possession de vos services depuis plusieurs années déjà.
Ainsi, ce ne sont pas 2,5 hectares, mais 19 hectares de milieux humides, qui pourraient disparaître si l’aménagement des 52 hectares de Technologia I se poursuit dans les conditions actuelles, dont près de la moitié concernent des prairies fauchées des sols engorgés et/ou inondables et des prairies humides à Oenanthe.
Il ressort en outre des différentes études disponibles (Etudes infrastructure routière RN 19 notamment ) que cette zone abrite deux habitats principaux bien identifiés : des prairies naturelles mésohygrophiles à Colchique d’automne sur les parties topographiquement les plus hautes et des prairies humides situées en position centrale et présentant deux variantes : une variante classique (Brome rameux et Laîche sp.) et une variante davantage hydromorphe et caractéristique des dépressions inondables (Oenanthe fistuleuse et Renoncule flammette).
Il est important de préciser ici que les prairies à Colchique d’automne constituent un habitat d’intérêt communautaire (prairies de l’Arrhenaterion elatioris – Code Natura 2000 6510-4).
L’ensemble ainsi constitué est décrit comme possédant un fort degré de naturalité en raison de la présence d’espèces oligo-mésotrophes (Molinie, Orchis à larges feuilles, Laîche bleuâtre, Succise des prés). Deux autres espèces végétales ajoutent encore un intérêt certain à ces habitats : le rare Vulpin à utricule, bien répandu sur le site, plante d’influence continentale d’intérêt régional, et la Scorzonère humble, une espèce acidophile montagnarde.
Quant aux espèces animales, un élément remarquable, déjà porté à votre connaissance en avril 2006, doit être expressément rappelé. Il s’agit de la présence avérée, en période de reproduction, du Râle des genêts, espèce mondialement menacée (liste rouge de l’UICN) inféodée aux prairies humides non intensifiées et pour laquelle un plan de restauration nationale est en cours (2005-2009), succédant à plusieurs programmes Life. Ce site constituerait un des derniers lieux de reproduction de l’espèce sur le bassin versant du Durgeon. D’autres espèces au statut de conservation précaire ont été recensées sur le site : Courlis cendré, Pipit farlouse, Bruant des roseaux, Pie-grièche écorcheur (Annexe I de la Directive Oiseaux) mais aussi deux Rapaces, également d’intérêt communautaire (Milan noir et Milan royal), qui utilisent les prairies comme territoire de chasse.
Ces éléments de l’inventaire font dire aux rédacteurs des études que ce site présente une richesse avifaunistique exceptionnelle (ce que nous partageons !), richesse qui n’apparaît nulle part dans le dossier de demande préalable à la délivrance de l’autorisation litigieuse ou qui n’a, pour le moins, pas été appréciée à sa juste valeur.
Les conclusions de ces études que vous ne pouvez ignorer sont sans ambiguïté : « ce site est particulièrement sensible à son fractionnement et aux modifications hydrologiques : un changement de ses caractéristiques hydrologiques induirait la disparition des espèces les plus exceptionnelles et notamment du Râle des genêts et du Courlis cendré. » Et de préciser encore « cet espace mérite ainsi une préservation, notamment dans le cadre du développement de la zone industrielle et des infrastructures. »
En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir prescrire des mesures réductrices et compensatoires sérieuses et suffisantes pour assurer notamment la préservation des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et suivants du Code de l’Environnement, ainsi que le respect du SDAGE qui impose la préservation et la restauration de ces milieux et tout particulièrement la stabilisation de la superficie des zones humides du bassin.
Partant des préconisations du SDAGE, des cartographies de la DIREN qui introduisent une circonstance de fait depuis leur élaboration et de la DCE qui interdit toute nouvelle dégradation des milieux humides depuis fin 2003 (introduction de circonstances de droit depuis 1999), nous vous demandons expressément, Monsieur le Préfet, et dans l’intérêt général, de bien vouloir édicter, à la charge du pétitionnaire, les prescriptions supplémentaires qui s’imposent pour réduire ou limiter les impacts de la ZA au titre de la police de l’eau, comme vous y autorisent d’ailleurs les articles 6 et 9 de votre arrêté, qui mentionnent notamment que : « Des prescriptions complémentaires pourront lui être imposées pour réduire ou limiter les impacts de la ZAC au titre de la police de l’eau et de la pêche. ».
Sachant que les nouvelles dispositions légales à intégrer doivent être contrôlables et proportionnées aux dangers de l’opération sur la gestion équilibrée de la ressource en eau et à la durée de l’aménagement, les prescriptions complémentaires à solliciter du pétitionnaire devront comprendre :
– la préservation des zones humides encore existantes à ce jour (le développement de Technologia I n’étant pas encore achevé)
– la compensation intégrale des surfaces de zones humides perdues, sur des sites géographiquement proches (bassin versant du Durgeon), en intégrant un niveau de priorité décroissant :
1. acquisition et création, par renaturation, de milieux humides prairiaux,
2. restauration de milieux humides prairiaux
3. participation à la gestion de milieux humides prairiaux.
– des mesures de suivi (IBGN) du milieu récepteur, la Vaugine, des eaux pluviales de la ZAC pendant et après travaux.
A toutes fins utiles, nous vous rappelons que les jurisprudences de ces dernières années confirment le fait que les pouvoirs publics ne peuvent plus aujourd’hui continuer d’occulter ou d’ignorer délibérément l’existence des zones humides (TA Rennes, n°01-3877, 10 avril 2003, Environnement 56 c/Préfet du Morbihan ; TA Besançon, n°0500944, 16 mars 2006, CPEPESC c/Préfet de Haute-Saône…) et que ces mêmes pouvoirs publics ont bien l’obligation de veiller au respect des dispositions et des intérêts protégés par le Code de l’environnement et d’appliquer scrupuleusement les règles et procédures prévues par la loi sur l’eau (TA Besançon, n°0500095, 14 juin 2006, CPEPESC c/ Préfet du Doubs ; TA Caen, n°011455, 4 février 2003, Ass. pour la Sauvegarde du Marais de Varaville et de ses environs c/Préfet du Calvados, TA Clermont-Ferrand, n°0001451, 19 décembre 2000, CPEPESC c/ Préfet du Cantal…).
Espérant ne pas avoir à saisir une fois encore la justice administrative, nous vous remercions de bien vouloir nous tenir informés, dans le délai légal, des suites réservées à notre demande.
Comptant sur votre diligence et votre volonté à faire respecter les enjeux fondamentaux liés à la gestion de l’eau et des milieux aquatiques, nous vous prions de croire, Monsieur le Préfet, en l’assurance de nos salutations distinguées ».
A suivre…