Drainage de zones humides à Neuvilley (39) sans autorisation administrative préalable : la Cour d’appel de Besançon donne raison aux parties civiles en condamnant Monsieur Chalumeau et la société du même nom responsables des travaux illégaux
A l’automne 2015, d’importants travaux de drainage avaient été réalisés sur le territoire de la commune de Neuvilley (39), touchant près de 6 ha de zones humides au sein de la vallée de l’Orain, dont les enjeux environnementaux sont pourtant signalés au travers du périmètre de la ZNIEFF de type 1 n°00000289, incluant l’ensemble des parcelles concernées par l’opération.
Ces travaux illégaux ont notamment fait l’objet du procès-verbal de constatation n°DP_20151201-281 par les services de l’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA), clos le 10 mai 2016.
L’affaire avait été jugée le 23 mai 2017 et par une décision rendue le 27 juin 2017, le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier avait relaxé Monsieur Noël Chalumeau et la SAS Chalumeau, responsables de l’opération de drainage pour le compte de l’exploitant agricole et déclarer par voie de conséquence irrecevables les constitutions des trois parties civiles (FNE, JNE et CPEPESC).
Ci-dessous quelques extraits des motifs de ce jugement :
Le juge a d’abord considéré que « si la négligence des prévenus dans les recherches préalables à l’engagement des travaux peut, le cas échéant, leur être imputé à faute, et caractériser ainsi l’élément moral de l’infraction qui leur est reprochée, elle n’en démontre cependant nullement l’élément matériel ».
Recherchant ensuite à savoir si les indices matériels fournis au dossier de la procédure permettaient de qualifier la présence d’une zone humide sur la base des deux critères cumulatifs définis à l’article R. 211-108 du code de l’environnement (présence de plantes hygrophyles et relevés pédologiques) [comme l’a jugé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 22 février 2017], le juge a estimé d’une part, que « le critère relatif au recouvrement d’une surface au sol, supérieure ou égale à 50%, de plantes hygrophiles figurant dans une liste préétablie n’est aucunement vérifié au cas présent ; […] ce qui retire toute base légale à la poursuite », d’autre part qu’aucune des deux expertises discordantes produites sur la caractérisation des sols, l’une rendue pour le compte du ministère public et l’autre au soutien des prévenus, ne pouvait avoir de prévalence l’une à l’égard de l’autre, qu’ainsi « la preuve indubitable de la caractérisation d’une zone humide déduite de la seule morphologie des sols n’est pas rapportée au cas présent ».
L’appel du ministère public et des parties civiles formé contre le jugement
a été examiné par la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Besançon à l’audience du 22 mai 2018. L’arrêt a été rendu un mois plus tard le 26 juin.
Le juge s’est d’abord livré à une interprétation des textes et actes administratifs dont dépendait la solution du litige en application de l’article 111-5 du code pénal. Sachant que s’il existe une contradiction apparente entre l’article L. 211-1 du code de l’environnement, qui énonce que les deux critères pédologique et floristique sont cumulatifs pour que soit reconnue une zone humide, et l’arrêté du 24 juin 2008 (précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides) qui parait, quant à lui, prévoir que ces critères sont alternatifs, celle-ci peut être aisément surmontée en considérant que les deux critères doivent être réunis quand il existe de la végétation.
Ce faisant, s’agissant du critère de morphologie des sols, si les premiers juges ont estimé qu’aucun des deux rapports ne pouvaient prévaloir, a contrario le juge d’appel a considéré « qu’il existait bien une prévalence de principe entre une mesure technique réalisée sur réquisition du parquet en application de l’article 77-1 du code de procédure pénale par un technicien qui a prêté serment d’apporter son concours à la justice en son honneur en sa conscience et une expertise privée qui est une étude technique réalisée sur mandat de l’une des parties », en l’occurrence la défense.
Sur le fond, il a souligné que contrairement aux conclusions de l’expert privé agissant pour le compte de la SAS Chalumeau celles de l’expert du ministère public confirmaient les constatations des agents de l’ONEMA réalisées selon la méthodologie de l’arrêté du 24 juin 2008 et aboutissant à l’identification du caractère humide de la zone litigieuse. Et surtout que les premières minimisaient manifestement les traits rédoxiques relevés caractérisant la présence d’une zone humide.
S’agissant du critère lié à la végétation, la Cour a considéré que les relevés botaniques effectués par la Fédération des chasseurs du Jura en 2008, lesquels confirmaient la présence d’espèces hygrophiles sur plus de 55 % de la surface, constituaient bien un élément de preuve suffisant parce qu’ils sont un témoignage de l’état des lieux d’origine et qu’ils ont été réalisés conformément à la méthodologie de l’annexe II de l’arrêté du 24 juin 2008 et nonobstant le fait que les agents de la FDC J n’aient pas la qualité d’experts ou d’inspecteurs de l’environnement.
A contrario, la Cour a estimé que les prévenus ne pouvaient se prévaloir de l’absence de végétation hygrophile à partir de leurs seules observations faites le 18 mai 2017 sachant qu’à cette époque la zone était déjà drainée depuis près de deux ans et plantée en maïs.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’il est suffisamment démontré que la zone drainée constituait, au regard des doubles critères pédologique et floristique, une zone humide que les travaux réalisés sans autorisation préalable ont eu pour effet d’assécher.
Sur l’élément intentionnel requis en matière pénale, la Cour a reconnu que la société Chalumeau et M. Noël Chalumeau étaient notoirement compétents en matière de drainage et de zone humide et qu’ils avaient sciemment « négligé tous les signaux qui auraient dû les conduire, sinon à constater la présence d’une zone humide, du moins à solliciter un avis préalable de l’administration ».
Concluant que l’assèchement d’une zone humide a des conséquences écologiques graves
que les prévenus, en tant que délégataires de responsabilité en matière environnementale et compte tenu de leur qualification, ne pouvaient ignorer, la Chambre correctionnelle a déclaré coupables M. Noël Chalumeau et la SAS Chalumeau des faits reprochés. Elle a condamné le premier à 3000 euros d’amende et la seconde à 7000 euros d’amende.
Elle a également ordonné la publication d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de la décision.
Les trois parties civiles ont été reconnues en leur constitution et se sont vues accordées des dommages et intérêts et le remboursement de leur frais, la Cour déclarant la société Chalumeau et M. Noël Chalumeau responsables du préjudice direct ou indirect causé par l’infraction aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre.
Bien que cette jurisprudence n’ordonne pas la remise en état des lieux – réclamée par la CPEPESC – comme le prévoit à titre de peine complémentaire l’article L. 173-5 du Code de l’environnement, cet arrêt, premier rendu en Franche-Comté depuis la décision du Conseil d’État du 22 février 2017, fera date dans ce domaine très contesté de la reconnaissance des zones humides et de la qualification des atteintes portées régulièrement à ces milieux à forts enjeux.
A ce stade, seule une décision de la Cour de cassation pourrait remettre en cause le sens de cet arrêt. Note postérieure à cet article
Le 25 juin 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la SAS Chalumeau et M. Noël Chalumeau. Pour en savoir +.