Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Haies gyrobroyées: ENEDIS récidive !

publié le20 octobre 2023

C’est l’histoire qui se répète de haies vives maltraitées sur le territoire de deux communes limitrophes de Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin (70). Les formations arbustives concernées sont situées le long de la route départementale n°3 et sous une ligne électrique HTA. Elles ont fait l’objet en août 2023, puis de nouveau en septembre pour parachever le travail – comme si le résultat de la première intervention n’était pas suffisant – d’un gyrobroyage systématique sur environ 1150 ml par un sous-traitant d’ENEDIS. Seule une portion de 350 m a été traitée autrement, taillée à 1 m-1m50.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle intervention voit le jour. Déjà en juillet 2015, les haies avaient été arasées jusqu’au sol par ERDF, faits pour lesquels le tribunal correctionnel de Vesoul, par un jugement du 29 novembre 2016, avait renvoyé le parquet à mieux se pouvoir à défaut d’avoir convoqué le (bon) représentant légal désigné au sein d’ERDF avant, trois ans plus tard et contre toute attente, de classer l’affaire au motif que les faits avaient été depuis régularisés. Bien évidemment, il n’en était rien.

Bis repetita en septembre 2018, alors même que la première affaire était toujours en cours. La CPEPESC avait alors, le 17 octobre 2018, adressé un courrier à la société ENEDIS dans lequel elle demandait notamment :

 « Cette opération causant un préjudice certain aux besoins de plusieurs espèces protégées, la CPEPESC vous demande à l’avenir de ne procéder qu’à un entretien léger, à des fins sécuritaires, consistant à élaguer uniquement les branches des buissons situées à l’aplomb des câbles et dont la hauteur sous la ligne dépasserait 3 mètres et bien évidemment de ne procéder à aucune coupe ou taille des haies limitrophes situées en dehors de l’emprise de la ligne comme cela fût le cas à Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin cette année ».

Les travaux observés fin août 2023 n’ont pas tenu compte des recommandations de la CPEPESC.

Enfin en 2019, au cours de la dernière semaine de novembre, plusieurs centaines de mètres linéaires de haies avaient été girobroyés, cette fois-ci, par les services techniques du Département de la Haute-Saône. Cette nouvelle opération avait conduit la CPEPESC a interpellé la Direction des services techniques et des transports (DSTT), laquelle a bien voulu répondre, a contrario d’ENEDIS.

Depuis lors, le Conseil départemental de la Haute-Saône, par la voie de Monsieur Xavier LEJAY, directeur de la DSTT et directeur adjoint des services, reconnaissant l’intérêt écologique indéniable des haies bordières des routes départementales, a mis en place le programme Lamier 2021. Dans son évolution récente, le principe acté vise un entretien limité à une coupe latérale dans un objectif sécuritaire et écarte toute intervention (ou presque) sur le houppier, le but étant de maintenir au maximum l’intégrité physique de ces formations arbustives conformément à l’avis du CSRPN de Bourgogne-Franche-Comté du 28 janvier 2021 qui précise « qu’il convenait de favoriser le développement en hauteur des strates arbustives et arborescentes des haies notamment au bénéfice de la biodiversité » et demande à ce « que soit introduite la durée minimale des cycles d’entretien et valorisation visant à empêcher la taille annuelle des haies et à favoriser le volume de leur frondaison ».

Force est de constater que l’opération de 2023, bien qu’effectuée en dehors de la période principale de reproduction, a pour conséquence directe, vu la coupe à blanc pratiquée de dégrader et d’altérer des habitats d’espèces protégées, autant d’habitats rendus impropres, entre autres, à la nidification des oiseaux les prochaines années. En effet, les haies à basses tiges (parce qu’elles sont essentiellement formées d’essences arbustives et non arborées) impactées ne pourront plus héberger les espèces qu’elles ont encore accueilli cette année* puisque leur fonctionnalité écologique ne sera pas recouvrée avant plusieurs années ; pas avant 2026, le temps que la végétation repousse. C’est donc une perte sèche d’habitats de reproduction et de repos pour de nombreuses espèces protégées, qu’elles soient d’intérêt patrimonial ou non.

*Parmi celles-ci, signalons la présence avérée en période de reproduction d’au moins 3 espèces à enjeu de conservation c’est à dire inscrites en listes rouges régionale ou nationale des espèces menacées, à savoir le Bruant jaune, la Pie-grièche écorcheur et le Tarier pâtre. Ces haies accueillaient également la Fauvette grisette et l’Hypolaïs polyglotte.

Cette opération a par ailleurs dépassé le cadre et les règles fixés par les textes et normes en vigueur pour l’entretien de la végétation sous les conducteurs aériens (article L. 323-4 du code de l’énergie + arrêté dit « technique » du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d’énergie électrique et Norme NFC 11-201 d’octobre 1996 déterminant les distances minimales à respecter pour la construction des ouvrages de distribution d’énergie électrique de 0 à 50 kV).

En effet, si l’article L. 323-4 du code de l’énergie reconnaît aux concessionnaires de transport et de distribution d’électricité le droit de couper la végétation sous les ouvrages, ce droit d’élagage, d’abattage et d’entretien ne peut toutefois s’exercer que dans la mesure où les branches sont susceptibles d’occasionner des courts-circuits et de compromettre ainsi la continuité de l’alimentation du réseau électrique aérien. L’entretien doit ainsi se limiter à couper les branches des buissons qui présenteraient un risque pour les conducteurs aériens, la hauteur de sécurité étant fixée à 3 m sous une ligne HTA telle que définit par la norme NFC 11-201. Or, ce risque n’était pas imminent : les vues Google Maps de juillet 2023, soit quelques semaines avant les travaux, montrent que la distance entre les câbles aériens et le houppier (des arbustes) dépassait les 3 m. L’urgence à intervenir ne peut donc être alléguée. Et à supposer que quelques buissons isolés auraient présenté une hauteur problématique, le traitement se devait d’être ciblé et non systématique.

La CPEPESC avait d’ailleurs anticipé le risque en faisant couper par le Département de la Haute-Saône en décembre 2022 les quelques Robiniers faux-acacias, espèce invasive et pionnière, qui avaient rejeté à la suite de la dernière opération de 2019 (cf. supra) et qui, par leur croissance rapide, dépassaient allègrement la hauteur des formations arbustives indigènes.

En définitive, par leurs impacts directs, les faits incriminés, commis en réitération, contreviennent aux intérêts défendus à l’article L. 411-1 du code de l’environnement et à l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009 (oiseaux protégés). Ainsi que vu plus haut, une telle intervention qui semble avoir été commanditée par le concessionnaire du réseau de distribution d’électricité n’était pas justifiée. Elle ne pouvait dans tous les cas être effectuée sans disposer de la dérogation au régime de protection des espèces et des habitats protégés prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

La CPEPESC a donc déposé plainte auprès du Procureur de la République, une de plus dans la longue liste de faits d’altération/dégradation de l’habitat d’espèces protégées.

Émettons le souhait ici que cette plainte ne finisse pas comme la première. Alea jacta est.

A suivre…