Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Dérogation sur la taille des haies: Un cadeau empoisonné

publié le4 avril 2024

La dérogation sur la taille des haies au titre de la PAC est un cadeau empoisonné pour le monde agricole !  Le 15 mars dernier, le Ministère de l’agriculture a annoncé la mobilisation de la procédure de la force majeure pour faire face aux épisodes pluvieux qui ont touché le pays. Plusieurs départements ont déjà fait publier des dérogations permettant aux agriculteurs de tailler leurs haies jusqu’au 15 avril… au lieu du 16 mars.

Les règles BCAE 8 (auparavant BCAE 7), autrement dit les « bonnes conditions agricoles et environnementales » relatives ici au maintien des éléments du paysage fixées au titre de la conditionnalité des aides de la PAC (paiements directs, paiements annuels) existent depuis un certain nombre d’années et sont censées assurer la protection des éléments favorables à la biodiversité au travers de l’engagement de l’agriculteur à maintenir des particularités topographiques (comme s’il était encore nécessaire de le rappeler) et à respecter une période pour la taille de la végétation pour respecter le calendrier de la reproduction/nidification de la faune sauvage. Ainsi, depuis plusieurs années il est interdit de tailler et/ou de couper les arbres et les haies entre le 16 mars et le 15 août. Belle affaire !!

Que l’on soit encore obligé en 2024 de rappeler qu’il ne faut pas intervenir sur la végétation arbustive (buissons, haies, bosquets) au printemps et en été montre à quel point le monde agricole, dans sa grande majorité, demeure déconnecté du Vivant.

La preuve encore avec cette extension réclamée par cette même profession et accordée de façon généralisée par l’Etat et ses services, au garde à vous, et tout contents de trouver un moyen de dire qu’ils ont agi pour la profession suite aux manifestations récentes.

Ainsi, jusqu’au 15 avril dans pas moins de 47 départements, on va pouvoir ressortir épareuse, déchiqueteuses, lamiers à dents ou à disques, etc. pour tailler, couper, élaguer au cordeau la plupart du temps, c’est-à-dire « au carré », les haies et autres formations arbustives pour faire propre parce qu’en réalité ce n’est que de cela (dans 90 % des cas) dont il s’agit.

Voici comment le Ministère a présenté cette dérogation aux interdictions initiales de la PAC :

Dans les zones touchées par des épisodes pluvieux intenses, une cartographie sera arrêtée par la DDT. « Dans cette zone définie, la force majeure s’appliquera de fait, et l’agriculteur n’aura pas besoin de demander une dérogation individuelle pour cas de force majeure », selon le communiqué du ministère de l’Agriculture. « Il pourra effectuer jusqu’au 15 avril dans les parcelles de la zone définie (en évitant la destruction de nids d’espèces protégées), des opérations d’entretien et de coupe de haies, arbres et bosquets », précise le ministère.

L’Etat a toutefois cherché à se couvrir en précisant aux exploitants qu’il fallait « éviter les nids d’espèces protégées » en oubliant celles qui ne le sont pas mais pour lesquelles il est pourtant aussi interdit de détruire les nids aux termes de l’article L. 424-10 du code de l’environnement (CPEPESC FC : Nids et œufs d’oiseaux : il est interdit de les détruire, de les enlever ou de les endommager. – Cpepesc).

Vous avez bien lu ! Chacun aura compris que cet évitement est vain et illusoire, puisqu’on imagine mal l’agriculteur prendre la précaution de descendre de son tracteur pour inspecter, avant travaux, les haies à la recherche de nids.

Et de toutes façons, osons-nous le rappeler, si la PAC avec ou sans dérogation fixe un cadre pour l’entretien des haies, elle n’a aucun caractère ou pouvoir réglementaire. Seul fait foi l’article susvisé mais aussi, s’agissant des espèces protégées, l’article L. 411-1 du code de l’environnement dont les dispositions interdisent de porter atteinte à la conservation d’habitats d’espèces protégées en toutes saisons, et a fortiori en pleine période de reproduction comme c’est le cas à partir du 15 mars, à moins d’être titulaire d’une dérogation en application de l’article L. 411-2.

Bref, c’est un beau cadeau empoisonné que l’Etat fait au monde agricole car les associations de protection de la nature investies dans la protection du vivant comme la CPEPESC ne manqueront pas de déposer plainte, nonobstant la dérogation PAC, pour toute infraction avérée de destruction, altération ou dégradation de ces habitats naturels.

A moins que la loi d’orientation et d’avenirs agricole (Lire cet article : https://www.novethic.fr/environnement/biodiversite/projet-loi-agriculture-ecologie-reculs) examinée aujourd’hui en Conseil des ministres pour répondre aux revendications des syndicats représentatifs de l’agro-industrie (FNSEA, Coordination rurale) ne revienne sur ces dispositions, ce que la CPEPESC n’ose imaginer. 

Affaire à suivre.