Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

La CPEPESC au secours du Grand Cormoran dans le département du Jura. Explications.

publié le15 novembre 2012

Le Grand Cormoran est une espèce protégée par l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009 qui fixe la liste des espèces d’oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire national et les modalités de leur protection:

Pour les espèces d’oiseaux dont la liste est fixée ci-après :

I. Sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps :

― la destruction intentionnelle ou l’enlèvement des œufs et des nids ;

― la destruction, la mutilation intentionnelles, la capture ou l’enlèvement des oiseaux dans le milieu naturel ;

― la perturbation intentionnelle des oiseaux, notamment pendant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation remette en cause le bon accomplissement des cycles biologiques de l’espèce considérée.

II. Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques.

III. Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat, l’utilisation commerciale ou non des spécimens d’oiseaux prélevés :

― dans le milieu naturel du territoire métropolitain de la France, après le 19 mai 1981 ;

― dans le milieu naturel du territoire européen des autres Etats membres de l’Union européenne, après la date d’entrée en vigueur dans ces Etats de la directive du 2 avril 1979 susvisée.

Les dérogations préfectorales de destruction

Des dérogations à la destruction du Grand Cormoran sont parfois délivrées en application de l’arrêté susvisé, des dispositions de l’article L.411-2 du Code de l’environnement et de l’arrêté ministériel du 26 novembre 2010 qui fixent les conditions et limites dans lesquelles ces dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis).

Cet arrêté ministériel précise notamment en son article 13 que sans préjudice des dispositions des articles 1er à 12 du présent arrêté, les préfets peuvent, par arrêté motivé, prévoir que la période et les territoires d’intervention susmentionnés pourront être complétés compte tenu des particularités de la situation locale, au regard des motifs mentionnés au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, et selon les modalités spécifiques suivantes :

― sur les piscicultures extensives en étang concernées par des opérations d’alevinage ou de vidange, jusqu’à la date de la fin de ces opérations et au plus tard jusqu’au 30 avril, sur demande des exploitants concernés sous réserve que ceux-ci s’engagent à ne réaliser aucun effarouchement sonore à l’aide de canons à gaz au cours du mois d’avril ;

― dès la première date d’ouverture de la chasse au gibier d’eau sur les territoires concernés, pour prévenir l’installation de cormorans pré-hivernants à proximité des piscicultures ;

― jusqu’au 30 juin, dans les territoires où le maintien de la pisciculture extensive contribue fortement à l’entretien et à la qualité des milieux naturels, afin de limiter l’installation de cormorans nicheurs à proximité des piscicultures, par des agents assermentés mandatés à cet effet ou par les propriétaires et exploitants d’étangs engagés dans la mise en œuvre de mesures favorables à la conservation de la biodiversité des habitats naturels concernés. Lors de la mise en œuvre de ces opérations, les bénéficiaires de dérogation ou participant aux opérations de destruction habilités devront prendre toutes précautions afin de ne pas perturber les espèces qui nichent à proximité des zones de tirs ni compromettre l’état de conservation des espèces protégées.

Ces campagnes prolongées de tirs sont conditionnées au strict respect du 4° de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement qui stipule : 4° La délivrance de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

L’autorisation très contestable de tirs donnée par le préfet du Jura

Par arrêté DDT n°2012263-0002 pris le 9 septembre 2012, la préfecture du Jura a autorisé en application de l’arrêté ministériel du 26 novembre 2010, le tir de destruction des oiseaux de l’espèce Grand Cormoran sur les piscicultures extensives du Jura.

Dans son article 3, le tir est autorisé au-delà du 28 février 2013 :

« Si des opérations d’alevinage ou de vidange interviennent au-delà de cette date, la période d’autorisation de tir sur les seules piscicultures extensives peut-être prolongée jusqu’au 30 avril 2013, les tirs sur les sites de nidification des oiseaux d’eau étant alors évités. L’autorisation est délivrée sous réserve que les exploitants concernés s’engagent à ne réaliser aucun effarouchement sonore à l’aide de canons à gaz au cours du mois d’avril.

Les pisciculteurs professionnels engagés dans la mise en œuvre de mesures favorables à la conservation de la biodiversité des habitats naturels sont autorisés à effectuer des tirs de destruction jusqu’au 30 juin 20132. Les prélèvements ont lieu dans la zone de pisciculture extensive des étangs de la Bresse jurassienne ».

Si notre association est consciente des difficultés rencontrées par les pisciculteurs de la Bresse confrontés aux prédations du Grand Cormoran, elle ne peut néanmoins accepter le recours à de telles dispositions qui ne sont pas conformes au droit et qui portent atteinte à la préservation d’espèces protégées pour plusieurs raisons :

Cet arrêté général ne prend pas en compte l’existence d’espèces protégées et/ou patrimoniales qui pourraient être impactées/perturbées par les tirs opérés en pleine période de nidification. Cela est d’autant plus vrai qu’une grande partie de la Bresse est inscrite dans le réseau NATURA 2000 (sites de Bresse jurassienne nord et sud – FR 4312008/4301306 & FR 4301307). Préciser que les tirs sur les sites de nidification devront être évités n’est pas sérieusement applicable compte tenu du champ d’application géographique de l’arrêté qui concerne des étangs et piscicultures formant des sites de nidification pour de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau. En d’autres termes, tous les étangs piscicoles de Bresse constituent des zones potentielles ou effectives de nidification.

L’arrêté n’apporte pas non plus la preuve que d’autres moyens ou mesures alternatives ont été recherchés, conformément à l’article L.411-2 du code de l’environnement, pour prévenir les dégâts dus au Grand Cormoran. Le dernier Considérant se contente d’évoquer qu’il n’existe pas d’autres moyens de prévenir des dégâts dus au Grand Cormoran.

Pourtant, une jurisprudence récente reconnait dorénavant que les préfets doivent préalablement rechercher des méthodes alternatives aux tirs, ces derniers n’étant possibles que si aucune de ces solutions ne s’est montrée satisfaisante (TA de Versailles, n°0803196, 29 septembre 2011, CORIF c/préfet de l’Essonne).

Cet arrêté ne tient pas compte non plus de la tendance actuelle des populations hivernantes de Grand cormoran dans le Jura – et plus globalement dans la région – lesquelles accusent une baisse de l’ordre de 23 % sur la période 2011-2012 alors même qu’une baisse de 32 % et une division par deux du nombre de dortoirs avaient déjà été enregistrées sur la période 2007-2011.
Enfin, et d’une manière générale, l’arrêté litigieux n’est pas suffisamment encadré et motivé.

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Autre page sur le Grand cormoran :

Le Grand cormoran : un bouc émissaire idéal !