Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Remise en état de 75 ha de prairies ordonnée par la Justice.

publié le26 février 2021

Par une décision du 28 janvier 2021 le tribunal administratif ordonne à la préfète de la Haute-Saône la remise en état de 75 ha de prairies bocagères transformés en cultures céréalières en 2014 dans la commune de SEMMADON.

Une destruction d’habitats d’espèces protégées orchestrée sciemment

L’affaire remonte à 2014 quand la SCEA de la Vigne de Padoux dans le cadre de l’installation d’un jeune agriculteur se lance dans un vaste projet de reconversion d’un parcellaire prairial jalonné de haies, de bosquets et de mares en grandes cultures (https://cpepesc.org/6-nature-et-pollutions/les-news/massacre-a-la-tronconneuse-a-semmadon-70-un-projet-dinstallation-dun-agriculteur-menace-les-equilibres-naturels-deja-precaires/).

Ce secteur était pourtant inscrit en ZNIEFF de type I, faisait partie depuis 2012 du réseau PRAM (Programme régional d’actions en faveur des mares financé avec des fonds publics) porté par le Conservatoire des Espaces Naturels et hébergeait de nombreuses espèces animales protégées. Parmi les plus remarquables, signalons notamment l’Agrion de mercure, espèce de libellule bénéficiant d’un plan national d’actions, le Triton crêté ou encore des espèces d’oiseaux typiques de ces agrosystèmes extensifs : Pie-grièche écorcheur, Huppe fasciée, Chouette chevêche, etc.

Malgré les alertes de la CPEPESC auprès des services de l’État et des inspecteurs de l’environnement, les travaux destructeurs ont été engagés jusqu’à leur terme et le bilan est catastrophique puisqu’ils ont eu pour conséquence de convertir en cultures intensives une surface prairiale de l’ordre de 75 hectares, de détruire 2754 ml de haies, 30 arbres isolés et 328 m (ou 46 ares) de bosquets (PJ 6). A cela s’ajoutaient la taille drastique (« haies réduites à leur plus simple expression » pour reprendre la formule de la DDT) de 2112 ml de haies et la destruction de mares inscrites au PRAM.

AVANT … APRÈS…

Une première décision en décembre 2016

La CPEPESC a déposé plainte devant le tribunal correctionnel de Vesoul (https://cpepesc.org/6-nature-et-pollutions/les-news/affaire-de-destruction-dhabitats-despeces-protegees-a-semmadon-et-oigney-70-la-chambre-correctionnelle-de-la-cour-dappel-de-besancon-infirme-partiellement-le-jugement-de/) et a saisi parallèlement le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation contre le refus d’agir manifeste du préfet de mettre en demeure l’exploitant de régulariser sa situation en déposant un dossier de dérogation à la destruction d’habitats d’espèces protégées dans les conditions fixées à l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Le juge administratif a reconnu le 22 décembre 2016 que les travaux avaient dégradé de manière significative les éléments de continuité écologique du site et que compte tenu de leur ampleur et de leur localisation, ils ont porté atteinte à des éléments de paysages importants pour la survie de nombreuses espèces animales protégées. L’État a donc été enjoint de mettre en demeure dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement, les responsables de déposer un dossier de demande de dérogation (https://cpepesc.org/6-nature-et-pollutions/les-news/semmadon-70-le-tribunal-administratif-reconnait-la-grave-atteinte-portee-aux-habitats-naturels-et-enjoint-mme-la-prefete-de-la-haute-saone-de-mettre-en-demeure-les-exploitants-agricoles/).

Un arrêté dérogatoire totalement abusif et illégal

Ce qui fût fait le 21 février 2017 par le mandataire de la SCEA. Malgré les carences du dossier et l’absence manifeste de respect des critères dérogatoires fixées à l’article L. 411-2 du code de l’environnement (cf. infra), le préfet de l’époque accorda la dérogation par arrêté signé le 4 mars 2019, soit plus de deux ans après le dépôt de la demande.

Sachant qu’aux termes de l’article R. 411-6 du code de l’environnement « le silence gardé pendant plus de 4 mois par l’autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet », la CPEPESC a sollicité du préfet, dès le 30 juillet 2018, qu’il ordonne à la SCEA de la Vigne de Padoux la remise en état des lieux en application de l’article L. 171-7 du même code : II.- (…) si la demande d’autorisation, d’enregistrement, d’agrément, d’homologation ou de certification est rejetée, (…), l’autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l’utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code. (…) ».

Face au refus préfectoral, la CPEPESC a de nouveau saisi le tribunal le 29 novembre 2018 et en a fait de même le 9 mai 2019 pour contester l’arrêté illégal, tant sur le fond que sur la forme, du 4 mars 2019.

Les deux requêtes ont été examinées conjointement à l’audience du 8 janvier 2021 et par décision rendue le 28 de ce mois le tribunal a estimé à juste titre « que l’intérêt socio-économique sur lequel se fondait l’arrêté attaqué pour justifier le projet de transformation de plus de soixante-dix hectares de prairie en terres agricoles ne permettait pas de caractériser à lui seul l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur attachée à ce projet », qui est un des trois critères avec l’absence d’autre solution satisfaisante et le maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, autorisant de déroger à l’interdiction de détruire, altérer, dégrader des habitats d’espèces protégées.

Eu égard au motif d’annulation retenu, le tribunal a enjoint à la préfète, sans toutefois assortir cette injonction d’une astreinte, de mettre en œuvre les mesures énoncées par les dispositions précitées de l’article L. 171-7 du code de l’environnement dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement.

Notons que pour la première fois depuis deux ans, le tribunal a condamné l’autorité administrative à verser des frais irrépétibles à la requérante sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La CPEPESC se félicite de cette décision. Reste maintenant à attendre une restauration effective et complète des habitats naturels impactés en espérant qu’elle se fasse dans le strict respect des intérêts défendus au code de l’environnement et sous réserve que l’État ne fasse pas appel.