LGV Rhin-Rhône, Branche Sud: Observations de la CPEPESC France sur le dossier de consultation présenté à la suite des études préliminaires.
L‘association a transmis le 8 décembre 2009 à « Réseau Ferré de France LGV Rhin Rhône » la lettre d’observations suivante dans le cadre de la consultation de concertation en cours sur ce projet.
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Monsieur,
Au nom de la Commission de Protection des Eaux, association nationale agréée de protection de la nature, j’ai l’honneur de vous transmettre les observations de l’association comme nous y a invité la lettre du préfet coordonnateur de la LGV Rhin-Rhône branche sud. Celui-ci s’est engagé à « veiller à ce que RFF réponde aux préoccupations exprimées ».
En préambule, s’agissant d’une consultation de simple concertation sur une synthèse des études, l’association tient à souligner que ses observations ne sont, elles aussi, que préliminaires et seront éventuellement complétées lors des consultations publiques officielles règlementaires (enquête d’utilité publique, enquête publique loi sur l’eau) à venir sur un projet plus élaboré.
Sur la consultation
Selon la presse, le 8 octobre 2009, lors du lancement de la phase de consultation publique, le préfet de Région, coordonnateur du projet, J. Barthelemy, a déclaré « Cette branche se fera bien, tout simplement, parce qu’elle est inscrite dans la loi ».
La loi ne dit pas cela. Elle n’ouvre qu’une éventualité de financement partiel et de réalisation : L’article 12 de la loi 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement (JO du 5.08) stipule dans son § III que « L’Etat contribuera, à hauteur de 16 milliards d’euros, au financement d’un programme d’investissements permettant de lancer la réalisation de 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse d’ici à 2020 ». Et que « ce programme de lignes à grande vitesse pourra porter sur les projets suivants dans la mesure de leur état d’avancement :
…― la desserte de l’est de la France, avec l’achèvement de la ligne Paris―Strasbourg et des trois branches de la ligne Rhin―Rhône ; … »
L’organisation de ce « débat public » nous semble faire la part belle aux thèses favorables au projet. Il ne nous parait pas, à ce stade que cela aide à mesurer honnêtement l’importance de son intérêt général réel.
Ne s’agissant donc que « d’une éventualité », nous réclamons la réalisation d’une étude diagnostic et d’expertise socio-économique sérieuse et indépendante faisant la balance entre le projet de réalisation de la LGV et l’utilisation après amélioration des voies ferrées existantes qui présentera de manière différenciée : les temps de parcours, le type de ligne envisagé (voyageurs, fret, mixte), les contraintes techniques en découlant en termes de marges d’ajustement des variantes au sein d’un fuseau, le bilan carbone, le niveau de redondance avec tout projet de liaison fluviale par canal grand gabarit, les incidences sur la biodiversité et une comparaison avec les niveaux locaux de responsabilité pour la préservation des habitats et espèces, le milieu naturel et le paysage en intégrant les notions de corridors écologiques notamment au sens de la trame verte et bleue définie par les textes issus du Grenelle de l’Environnement, le niveau de compatibilité avec la Directive Cadre sur l’Eau, la somme des ouvrages et leurs niveaux de transparence hydraulique (stockage des crues, incidence sur les espaces de mobilité des cours d’eau en lit majeur), les impacts prévisibles sur la qualité des eaux des captages AEP tenant compte des niveaux de priorité départementale de ces derniers (coûts induits toutes compensations comprises).
L’absence de rentabilité d’un projet écologiquement très impactant
Un billet paru dans l’Est Républicain du 2 décembre 2009, sous le titre « LGV recherche voyageurs » résume bien le problème :
« Dans le volet économique des études sur la branche Sud de la LGV établi par RFF, le gain annuel de trafic généré par celle-ci ne dépasse pas 833 000 voyageurs… dans l’hypothèse la plus défavorable ! Soit 1141 par jour dans chaque sens, un résultat fort éloigné des 2,7 millions d’usagers supplémentaires générés par la branche Est ».
« Comment justifier un investissement public de 3 milliards d’euros pour un bilan économique aussi improbable que même l’apport du fret, dans le cas d’une ligne mixte, ne suffirait sans doute pas à compenser ? ».
La réalisation de ce projet, quel que soit le fuseau retenu, impacterait considérablement plusieurs zones naturelles d’importance nationale (RNN, APPB, ZNIEFF) ou européenne (site Natura 2000) sans aucune justification économique.
Il n’est d’ailleurs pas justifié à ce jour, de ne pas privilégier l’utilisation et l’amélioration du réseau ferroviaire existant. Particulièrement, en ce qui concerne le transport de fret du nord au sud, les lignes classiques ne manquent pas. Sous-utilisées, voire délaissées, elles pourraient facilement absorber un hypothétique afflux sur le rail.
Les questions posées sont claires et demandent réponses.
L’impact écologique
Quel que soit le fuseau retenu, le projet serait en effet très consommateur d’espaces naturels, de terres agricoles, de milieux forestiers. La chambre d’agriculture du Jura aurait estimé de 1 500 à 2 000 ha, la perte de terres agricoles. Mais en réalité ces surfaces seront largement dépassées. Ceci n’est pas acceptable à une époque où tout indique qu’avec l’augmentation de la population mondiale et le réchauffement climatique les terres agricoles manqueront bientôt.
Quant aux milieux naturels et paysages très sensibles traversés (Basse vallée du Doubs, Bresse, plaines alluviales, milieux forestiers, etc.), l’association ne peut qu’être opposée à l’énorme impact environnemental injustifié qu’ils subiraient.
Dans cette région existent de nombreuses zones humides, associées ou non à des vallées qui constituent des biotopes d’intérêt reconnus et bénéficiant dans certains secteurs de statuts de protection ou d’inventaire mis en oeuvre par les pouvoirs publics : arrêtés de biotope, ZNIEFF 1, ZNIEFF 2.
L’existence de ces différents statuts de protection participe à l’engagement de notre pays vis-à-vis de la biodiversité, au plan européen comme mondial.
Tout au long du tracé, les traversées de vallées et les zones humides qui seraient impactées sont très nombreuses. Ces zones humides constituent, outre des biotopes sensibles, des milieux aquatiques régulateurs indispensables. On ne sait pas reproduire cela artificiellement.
Plus de 50% des zones humides ont déjà disparu aujourd’hui… Le SDAGE RMC interdit d’en réduire encore la surface restante. Par ailleurs, un objectif officiel, issu du Grenelle de l’environnement, consiste désormais à protéger des corridors ou trames vertes ou bleues efficaces ; ajouter des cloisonnements supplémentaires liés à la construction d’une LGV dénué d’intérêt, ne semble guère judicieux.
L’association est donc totalement opposée à ce projet.
Quant aux différents fuseaux proposés,
Si le fuseau Ouest « semble » le moins impactant, le fuseau centre le plus préjudiciable et le fuseau Est longeant l’autoroute A39 « une bonne idée », l’illusion est cartographique pour ce dernier. Ainsi en longeant l’A39, ce fuseau présenterait « l’avantage » de profiter d’une coupure majeure existante mais de fait cette coupure n’en sera qu’augmentée, renforcée. Par ailleurs, ce fuseau impacterait plus de 25 cours d’eau !
L’autoroute A39 constitue déjà un obstacle majeur aux nécessaires déplacements et échanges faunistiques. Avec la construction de la LGV se poserait alors les problèmes de la mise en oeuvre de mesures visant à permettre un minimum d’échange faunistique efficace et non symbolique ou « bidon » (passage mixte !) comme cela s’est fait trop souvent dans le passé.
Cela nécessiterait la mise en place, compte tenu du milieu naturel, d’un très grand nombre de passages à grande faune suffisants et non dissuasifs (largeur au moins 50m), de passages à petite faune partout où c’est nécessaire, de passages avec éclairage pour le poisson et banquettes latérales au droit des rivières, etc.
Des mesures réductrices et compensatoires à la hauteur des très forts enjeux
Sur la base d’études scientifiques, des zonages environnementaux, des documents de gestion et des inventaires disponibles, il est établi que les impacts de la réalisation du projet de LGV branche Sud affecteraient considérablement et durablement les milieux naturels traversés ainsi que les habitats naturels nécessaires aux différentes espèces patrimoniales dans leurs cycles biologiques.
La neutralisation de tels impacts ne pourra se faire sans de lourds aménagements écologiques qui ne sont ni mis en place sur la ligne en cours de construction dans la Vallée de l’Ognon à l’heure actuelle, ni même envisagés dans le dossier remis par RFF dans le cadre de cette consultation.
Si ce projet venait à prospérer, nous demandons que les mesures compensatoires soient officialisées, sérieusement détaillées et localisées dans la version qui sera soumise aux enquêtes publiques à venir.
Solutions alternatives : utilisation du réseau ferroviaire existant
La réalisation de ce projet ne pouvant qu’impacter lourdement les finances publiques, l’amélioration nécessaire et urgente du réseau ferroviaire français, l’environnement naturel extrêmement sensible de la Bresse et ses zones humides, nous demandons que soient sérieusement et impartialement étudiées les autres solutions possibles pour arriver au même résultat de service en modernisant et en utilisant le réseau ferroviaire existant.
Elles ont déjà été proposées par des associations locales et dont nous faisons nôtre, le texte ci-dessous :
« Elles figurent d’ailleurs au titre des « possibilités d’amélioration du réseau existant » dans les études en cours. Des améliorations qui, cependant, aux yeux des aménageurs ne se substituent pas au projet de ligne nouvelle mais le complètent. D’où ce raisonnement pervers : les investissements en vue d’aménager l’existant doivent être limités par la perspective de la construction de la future branche sud, alors même qu’ils pourraient l’éviter !
Les possibilités sont importantes, avec des assemblages divers entre des lignes classiques susceptibles d’accepter de fortes augmentations de trafic. On les retrouve dans les documents de RFF :
– Relèvement de vitesse sur la ligne Paris-Lyon-Marseille où le transfert de marchandises sur la ligne de la Bresse libérerait encore davantage de sillons.
– Raccordement éventuel de cette ligne PLM à la LGV sud-est.
– Relèvement de vitesse et augmentation de trafic fret et voyageurs sur la ligne de la Bresse (Dijon-Bourg-Lyon), moderne mais peu utilisée.
– Aménagements et transfert de trafic sur la ligne du Revermont (Strasbourg-Besançon-Lyon), véritable axe Rhin-Rhône sur laquelle circulent déjà des TGV Strasbourg-Marseille (à vitesse normale jusqu’à Lyon).
– Amélioration de la ligne de la Dombes entre Bourg-en-Bresse et Lyon.
Précision : les lignes de la Bresse et du Revermont se rejoignent à Saint-Amour (Jura). Les gares de Louhans sur l’une, et de Lons-le-Saunier sur l’autre, sont distantes d’une vingtaine de kilomètres seulement et offrent des liaisons complémentaires Paris-Sud de la France ou Strasbourg-Sud de la France. Pourquoi tracer une LGV entre ces deux infrastructures, et la doter d’une gare en rase campagne dans un faible bassin de vie, très rural ?
Les études préliminaires distinguent en outre différentes solutions de raccordement qui sont autant d’alternatives. En somme, tout en répondant à un cahier des charges prévoyant la construction d’une LGV, ces études apportent involontairement tous les arguments qui devraient conduire à renoncer à une ligne nouvelle : les très fortes contraintes environnementales, l’impossibilité d’y faire circuler les trains à très grande vitesse et les capacités d’absorption offertes par les lignes existantes ( la liste n’étant pas exhaustive sur cet axe nord-sud où l’on trouve aussi Dijon-Nevers, par exemple) ».
Notre association vous remercie de bien vouloir lui communiquer et rendre publiques les réponses de RFF à nos préoccupations.
Dans cette attente nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos meilleures salutations.
Pour la CPEPESC Nationale,
Le Président.
François Devaux NDLR ultérieure :
– 21/06/13 : Le rapport DURON, qui doit être remis au gouvernement le 27 juin 2013 préconiserait de ne réaliser en raison de son coût la LGV Rhin-Rhône qu’en 2030 comme d’ailleurs plusieurs lignes ferroviaires à grande vitesse. Il proposerait de favoriser plutôt les transports collectifs de proximité.
Ce projet en raison de son coût a été renvoyé aux calendes grecques