Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Travaux agricoles impactant la biodiversité : L’État encore condamné à agir

publié le2 février 2023

L’Etat est une nouvelle fois condamné à mettre en demeure le responsable de travaux agricoles préjudiciables à la préservation de la biodiversité A Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin (70)

Entre fin janvier et fin août 2019, différents travaux ont été engagés sur le territoire de SCEY-SUR-SAONE-ET-SAINT-ALBIN entre les lieux-dits ChazelEn Baillard et La Mollière à la sortie de la commune, le long de la RD 3, direction LA NEUVELLE-LES-SCEY à l’initiative de Monsieur Denis CARLE, gérant de l’entreprise de BTP CARSANA et d’une société spécialisée dans l’élevage de chevaux sur LA ROMAINE.

Ces travaux de réouverture d’un parcellaire prairial humide en déprise, sur une surface approximative de 3,8 ha, semblaient être achevés depuis le 5 février. Si leur vocation initiale (réouverture du milieu en déprise) pouvait présenter un intérêt écologique/naturaliste, la reprise des opérations entre le 18 et le 23 février s’est soldée notamment par l’arrachage/girobroyage sans aucune justification des haies de bordure, par de nouveaux arasements de zones buissonnantes et par le comblement partiel de quelques-unes des dépressions humides au moyen d’apports de terre arable. 

A ce stade, cette intervention était déjà à l’origine d’atteintes non négligeables aux habitats connus pour abriter des espèces protégées (amphibiens, reptiles et avifaune, cf. infra).

Le dernier bosquet supprimé entre novembre 2022 et janvier 2023

Malgré un premier signalement

auprès des services de la DDT et de l’ONCFS dès le 24 février 2019 puis encore les 17, 26 mars et 9 juillet, les travaux se sont poursuivis pour s’achever à la fin du mois d’août par l’arrachage des dernières souches et le retournement de la prairie. En définitive, à la date de septembre 2019, à l’exception d’un bosquet de 2000 m² et de trois frênes, l’exploitant aura fait table rase de tous les éléments du paysage favorables à la biodiversité sans que l’État ne daigne intervenir. Depuis lors, les trois frênes ont été abattus (ils avaient d’ailleurs séchés sur pied) ainsi que le bosquet que Monsieur CARLE a fini par supprimer à une date toute récente (entre novembre 2022 et janvier 2023) sans même conserver la haie bordière.

Les milieux détruits ou altérés – véritable mosaïque paysagère relictuelle aux confins de zones de cultures – constituaient le lieu de repos et de reproduction de plusieurs espèces de l’avifaune protégées au sens de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Parmi les oiseaux, plusieurs espèces se reproduisaient sur le site ; il faut notamment relever la présence d’un cortège de Picidés (Pic noir, Pic mar, Pic épeiche et Pic vert), de l’Effraie des clochers, du Rossignol philomèle, de la Fauvette grisette, du Tarier pâtre, de la Pie-grièche écorcheur, de la Linotte mélodieuse, du Verdier d’Europe, du Serin cini et du Bruant jaune. En hiver et en période internuptiale, le site était également fréquenté par l’Effraie des clochers, la Bécasse des bois, le Verdier d’Europe, la Linotte mélodieuse ou encore le Bouvreuil pivoine. La plupart de ces espèces présentent un statut de conservation précaire en France et/ou en région ce qui leur vaut d’être inscrites en Listes rouges des espèces menacées.

Trois amphibiens et un reptile protégés ont également été recensés sur la zone : le Triton palmé, le Crapaud commun, la Grenouille rousse et la Couleuvre verte et jaune.

Il ressort de ces éléments que les différents travaux et interventions réalisés sur ce secteur depuis le début de l’année 2019, et notamment depuis la semaine 8, sont à l’origine de dommages non négligeables aux milieux particuliers de ces espèces (haies, buissons et bosquets détruits et arasés, dépressions humides remblayées). Ils portent indiscutablement atteinte à la conservation d’aires de repos mais aussi de zones de nidification et ne pouvaient être effectués sans disposer des autorisations requises au titre des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement et des arrêtés interministériels spécifiques (arrêté ministériel du 29 octobre 2009 pour l’avifaune, arrêté du 19 novembre 2007 pour les amphibiens et les reptiles).

Tirant les conséquences d’un projet mené sans que les principes, inscrits à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, d’action préventive, de correction à la source des atteintes à l’environnement et de non régression (absence de perte nette de biodiversité), n’aient été poursuivis, malgré les éléments d’appréciation qui avaient été portés à la connaissance de la DDT, la CPEPESC a adressé le 9 septembre 2019 un recours gracieux à la préfecture.

Confrontée au silence de l’autorité préfectorale,

La CPEPESC a saisi le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation contre son refus d’agir le 10 janvier 2020.

Ni le préfet, ni Monsieur Denis CARLE, qui se croyait vraisemblablement « blanchi » après que le tribunal correctionnel de Vesoul (sur le plan pénal donc !) l’ai relaxé sans motivation, n’ont présenté de défense sérieuse.

Le tribunal a audiencé l’affaire le 29 novembre 2022 et a réouvert les débats consécutivement à la production d’une note en délibéré de la CPEPESC. Si le rapporteur public a demandé au tribunal d’annuler le refus d’agir préfectoral et d’enjoindre sous astreinte au préfet de mettre en demeure le responsable des travaux litigieux de déposer un dossier de dérogation au régime de protection des espèces, il a réservé l’application de son raisonnement à l’existence effective d’enjeux en termes d’espèces protégées et d’habitats d’espèces protégées, en relevant qu’ils ne sont pas contredits ni remis en cause par le Préfet mais qu’ils reposeraient uniquement sur les observations naturalistes du requérant.

La CPEPESC a donc rappelé à travers cette note que les données disponibles, qu’il s’agisse des données émanant de la base Biolovision ou de celles produites dans le cadre de l’enquête pénale diligentée suite au dépôt de plainte de l’association, étaient parfaitement circonstanciées et que le site en litige hébergeait un grand nombre d’espèces animales protégées dont l’habitat est lui-même protégé, au total pas moins de 75 taxons différents (9 mammifères, 2 reptiles, 2 amphibiens et 62 oiseaux).

Une nouvelle audience s’est tenue le 6 janvier 2023 et le tribunal a mis sa décision en délibéré au 25 janvier.

Après avoir repris la récente interprétation du 9 décembre 2022 du Conseil d’Etat en matière d’application du régime de protection des espèces s’agissant des seules conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation (Conseil d’Etat, avis, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, n°463563), à savoir la présence de spécimens d’espèces protégées en dehors de toute considération sur leur nombre et sur leur état de conservation et l’évaluation à un niveau « suffisamment caractérisé » du risque d’impact résiduel sur lesdites espèces protégées après prise en compte des mesures d’évitement et de réduction, le tribunal, reconnaissant que le préfet avait méconnu la situation et les dispositions en vigueur du code de l’environnement, l’a enjoint de mettre en demeure M. CARLE de présenter une demande de dérogation au titre du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Restera, à l’issue de ce dépôt, aux services de l’État de vérifier que les conditions d’octroi de la dérogation sont remplies en prenant en considération les mesures compensatoires que Monsieur CARLE devra proposer. En cas de refus de délivrance de la dérogation, il leur reviendra d’exiger « la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le code de l’environnement » en application de l’article L. 171-7-II.