Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Justice et atteintes agricoles hors normes dans les Ardennes

publié le7 novembre 2023

Travaux agricoles dommageables à l’environnement et à la biodiversité dans le département des Ardennes : le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejette la requête de la CPEPESC Nationale qui fera appel.

En juillet 2021, la CPEPESC nationale informait ses lecteurs de l’introduction d’une requête en annulation contre le refus tacite du préfet des Ardennes de mettre en demeure le(s) responsable(s) de lourds travaux agricoles effectuées dès l’automne 2020 sur le territoire de trois communes contiguës : Boulzicourt, Singly et Villers-sur-le-Mont. Malgré les alertes, les travaux se sont poursuivis jusqu’au printemps 2022 occasionnant des dommages considérables:

Au total, selon ses observations, les travaux relevés sur le territoire de quatre communes riveraines (une autre commune Yvernaumont étant désormais aussi concernée) sont imputables pour partie à la SCEA du Moulin et auront donc induit la conversion d’environ 1 026 600 m², soit 102ha 66a, de prairies permanentes en cultures, la destruction de ~2 910 ml de haies continues, de ± 980 ml de haies discontinues, de 26 bosquets d’une surface totale de ± 22 500 m², de 80 buissons au minimum, d’une vingtaine d’arbres à haut jet et d’une mare de 300 m². A cela s’ajoutent un linéaire de 810 m de haies et de lisière et 16 buissons traités au moyen d’un biocide défoliant, la réduction drastique en hauteur et en largeur de 685 ml de haies ainsi que le défrichement d’une ancienne parcelle boisée d’une surface de ~15 000 m².

L’audience a été fixée au 12 octobre 2023 après une clôture d’instruction au 20 septembre 2023 et la soumission d’un moyen d’ordre public le 27 septembre.

Contre toute attente, alors que Mme la Rapporteure publique concluait à l’annulation du refus d’agir du préfet par méconnaissance des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement et demandait à ce qu’il lui soit enjoint de mettre en demeure le(s) responsables(s) des travaux litigieux de déposer une demande de dérogation et de prendre des mesures conservatoires jusqu’à ce que l’administration ait statué sur la demande, le tribunal en décidait autrement le 26 octobre dernier en déniant un intérêt à agir à l’association en ses termes :

« il résulte de l’instruction que la décision contestée du 16 mai 2021 par laquelle le préfet des Ardennes a refusé de mettre en demeure le ou les responsables des travaux en litige de déposer un dossier de demande de dérogation à l’interdiction de destruction des habitats d’espèces protégées a un champ d’application territorial limité aux seules communes ardennaises de Boulzicourt, Villers-sur-le-Mont et Singly et ne soulève, eu égard à son objet et à sa portée, aucune question excédant ces seules circonstances locales. Si l’association requérante invoque l’atteinte portée à des espèces protégées aux niveaux régional et national ainsi qu’à leur habitat, elle n’apporte aucune précision de nature à établir que le refus ainsi opposé par le préfet des Ardennes présenterait des implications excédant les seules circonstances locales. Ainsi, et alors même qu’une telle situation serait susceptible d’être rencontrée dans d’autres parties du territoire, la Commission de protection des eaux, du patrimoine, de l’environnement, du sous-sol et des chiroptères, qui dispose au demeurant de la possibilité d’être agréée au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de cette décision ».

Et ce malgré un argumentaire fourni de la CPEPESC s’agissant de l’intérêt à agir en raison du champ de compétence géographique.

Elle y précisait notamment qu’elle ne concurrençait aucune autre association partageant les mêmes buts et la même dénomination dans la région Grand Est, que les impacts irréversibles qui ont été causés à la faune sauvage protégée par le refus préfectoral constituent une violation de la législation dont rares sont les associations locales compétentes pour les défendre, que, rappelant que le Conseil d’État a jugé que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présente le caractère d’une « liberté fondamentale », il n’était pas contesté que les travaux en cause affectent et déséquilibrent profondément notre environnement, en réduisant drastiquement la biodiversité et les services écologiques et écosystémiques auxquels tout un chacun peut prétendre, que seule une association aguerrie comme la CPEPESC Nationale était en capacité, sur des sujets de société dépassant par leur généralité des enjeux strictement locaux (espèces à enjeux de conservation régionaux et nationaux, répercussions dépassant le seul cadre local puisque les individus d’espèces patrimoniales ont vu disparaître leurs habitats respectifs, ne trouvant plus dans les lieux détruits/altérés des conditions favorables à l’accomplissement de leurs cycles biologiques respectifs) de porter, efficacement et sans délai, l’affaire en justice, qu’enfin les conséquences d’un refus d’agir de l’État ne sont pas exclusivement locales, dans la mesure notamment où celui-ci s’applique à une situation directement susceptible d’être rencontrée dans d’autres communes et sur d’autres territoires.

La CPEPESC fera appel de cette décision devant la Cour administrative de Nancy.

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