Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Gouffre de JARDEL : A la recherche de la vérité au fond du gouffre poubelle militaire de Chaffois (25)

publié le9 avril 2011

Tiré de l’oubli dans les années 1970, le gouffre de JARDEL et sa poubelle explosive, pose toujours questions.
Les autorités ne disposent même pas de l’inventaire de l’énorme stock d’obus jeté dans le gouffre en 1923 par l’autorité militaire.

Il est donc parfaitement légitime que le trou de Jardel, situé en amont des sources de la Loue, continue de soulever craintes et interrogations. Ce fut encore le cas à l’occasion des hécatombes piscicoles de la Loue au printemps 2010. Une nouvelle visite par la Sécurité Civile de ce dépôt, accompagnée de prélèvements à fin d’analyses avait été réalisée avec l’aide des spéléos du Doubs au mois d’octobre 2010. Depuis ont en attendait les résultats.

L’administration a rendu public les résultats de ses investigations
le samedi 9 avril 2011, lors d’une conférence de presse en Sous-préfecture de Pontarlier.

Des prélèvements d’eau et de sédiments ont été réalisés afin de déceler d’éventuels polluants, en particulier d’acide picrique .

Selon l’A.R.S, « l’acide picrique ou acide carbo-azotique ou mélinite est le terme commun pour le composé chimique 2,4,6-trinitrophénol. C’est un composé très réactif utilisé comme explosif dans les munitions et obus de la première guerre mondiale. Si les munitions ou obus sont corrodés, ce composé est susceptible de contaminer l’environnement.

Cinq prélèvements ont été réalisés et transmis pour analyse au laboratoire expert indiqué par l’ARS :

– trois prélèvements sur l’eau : 1 en amont de la zone de stockage, 1 en aval de cette zone et 1 sur la source principale de la Loue, résurgence du gouffre de Jardel,

– deux prélèvements sur les sédiments du gouffre : 1 en amont et 1 en aval de la zone de stockage.

– A noter qu’un captage d’eau potable est situé sur la source principale de la Loue et alimente les communes de Ouhans et Renedale.

Tous les résultats d’analyse sont normaux, inférieurs au seuil de détection analytique du laboratoire. On peut donc conclure, tant dans l’eau que dans les sédiments, à une absence totale de ce paramètre ou à une présence à l’état de trace infinitésimale et indétectable dans l’état actuel des capacités des laboratoires experts ».

Il n’y a à ce jour aucune libération d’acide picrique par le stock d’obus entreposés dans le gouffre de Jardel, qui reste donc sans impact sanitaire.

La réalisation d’un inventaire plus précis des munitions apparentes et de leur état de conservation

Nous reprenons ci-dessous les parties concernées du rapport technique du service de Déminage.

Prélèvements et Analyses des éléments constitutifs des obus

« Les démineurs ont effectué des prélèvements dans des obus brisés lors de la chute. Par ailleurs, deux obus de 75 mm ont été transportés vers le terrain de destruction du centre de déminage de Colmar, et ouverts à l’aide de charges pyrotechniques afin d’effectuer des prélèvements d’explosif. Cette technique a permis d’obtenir l’ouverture à distance de la munition sans entraîner son fonctionnement nominal (explosion).
Quatre prélèvements ont été transmis au Laboratoire Central de la Préfecture de Police pour analyse et ont fait l’objet d’un rapport d’essai en date du 13 décembre 2010.

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Les analyses effectuées, notamment par chromatographie liquide couplée à l’ultra violet, chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse et spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier, ont permis de mettre en évidence dans les 4 différents prélèvements effectués (a, b, c, d) la présence :

a) D’ions calcium résultant du recouvrement des obus par la rivière lors des périodes de hautes eaux, d’acide picrique (explosif dénommé mélinite), de dinitronaphtalène (explosif insoluble dans l’eau, obtenu à partir de goudrons de houille et utilisé également comme colorant ou insecticide…) et qui sert de flegmatisant (pour diminuer la sensibilité des explosifs aux chocs et à la friction).

b) D’acide picrique, d’ions nitrate, ammonium, magnésium et calcium, ainsi que de carbonates et d’un silicate. Les résultats analytiques permettent d’identifier outre le chargement explosif de cet obus, des composants qui résultent des eaux souterraines et d’un drainage de zones agricoles (ce prélèvement a été effectué dans un obus ouvert lors de la chute).

c) 90 % d’acide picrique et de 10 % d’huile minérale (paraffine) comme flegmatisant. Ce chargement correspond à l’explosif M P, le plus utilisé pour le chargement en comprimé des obus pendant la première guerre mondiale. Il est théoriquement constitué de 88 % de mélinite et de!2 % de paraffine mais ce résultat est conforme, compte tenu des tolérances de fabrication en période de guerre.

d) 59 % d’acide picrique et 41 % d’isomères du dinitronaphtalène comme flegmatisant. Ce chargement correspond à la définition de l’explosif M Dn, constitué de 70 % de mélinite et 30 % de dinitronaphtalène utilisé pour le chargement en fondu ou en comprimé des obus. Ici encore, ces résultats sont conformes, compte tenu des tolérances de fabrication en période de guerre.

EXPLOITATION DES RESULTATS ANALYTIQUES ET DE L’EXAMEN DES MUNITIONS

Pour la nature des enveloppes, les obus explosifs peuvent être en acier, fonte ou fonte aciérée, à l’exclusion de tout autre métal. Il s’agit d’alliages fer -carbone, avec, en général, un pourcentage de carbone inférieur à 1,7 pour les aciers utilisés majoritairement pour les corps d’obus, et compris entre 1,7 et 6,7 pour les fontes. Le passage de l’eau souterraine sur les obus a donc comme effet d’entraîner du fer, des oxydes et hydroxydes de fer.

Dans le cas présent, il n’y a pas de ceinture de forcement en cuivre (ceinture ayant pour rôle d’assurer l’étanchéité des gaz de propulsion de la munition dans la chambre du canon et de lui donner un effet gyroscopique pour lui assurer une stabilité sur sa trajectoire lors du tir).

Il est à noter l’absence de tout dispositif d’amorçage sur les munitions (les éléments d’amorçage, pour des raisons de sécurité pyrotechnique, étaient stockés séparément et assemblés juste avant le tir). Si ces munitions en avaient été munies, cela aurait été un réel danger pour les personnels qui, en 1923, ont fait chuter de 130 mètres ces munitions. Ces dispositifs d’amorçage, s’ils avaient été présents, auraient, de plus, pu être une source de pollution notamment du fait de leur détonateur contenant 2 grammes de fulminate de mercure. Mais tel n’est pas le cas pour les munitions se trouvant dans le gouffre de Jardel.

L’examen visuel des obus a permis de constater que l’oxydation était très peu marquée, notamment pour ceux qui sont à l’air libre ou dans l’eau. Le nettoyage avec une solution d’acide orthophosphorique des obus ouverts pour effectuer les p relèvements a montré la présence d’importants restes de peinture jaune, code couleur indiquant un chargement en explosif nitré, ce qu’est effectivement la mélinite.

L’examen et les prélèvements effectués ont mis en évidence la présence de mélinite dans les culots des obus brisés il y a 87 ans, ce qui confirme bien la faible solubilité de cet explosif dans l’eau froide et donc une forte dilution au cours des années. Pour d’autres projectiles, la chute a endommagé les gaines, entraînant une perte d’étanchéité et la formation d’exsudats bien visibles sur plusieurs exemplaires situés hors eaux au moment de la mission d’exploration. La quantité d’explosif issue des exsudats des gaines est très faible.

CONSTATATIONS

Comme il avait été convenu lors de la réunion du 9 juin 2010, un inventaire précis des munitions a été effectué. Les constatations suivantes ont été faites :

– les munitions sont toutes de nationalité française,

– elles sont toutes dépourvues de systèmes d’amorçage (détonateur),

– elles sont toutes de chargements conventionnels (pas de chargement chimique),

– 17 modèles de munitions de 9 calibres différents ont été répertoriés,

– ces calibres vont du 65 mm au 220 mm,

– leurs poids varient de 3,4 kg pour les obus de 65 mm à 100,5 kg pour le 220 mm,

– leurs corps sont soit en acier soit en fonte aciérée,

– quelques obus en fonte-aciérée ont été ouvert lors de leurs chutes ou présentent des petites fissures (calibre de 155 et 220 mm),

– Les analyses effectuées ont mis trois produits constitutifs du chargement des munitions en évidence et sont représentatifs des compositions explosives utilisées pendant la Première Guerre mondiale :

a) L’acide picrique : dénommé mélinite dont les propriétés ont été découvertes par le chimiste Turpin en 1885. Elle fond à une température de 122° et possède une vitesse de détonation de l’ordre de 7300 m/s avec une densité de 1,63. Obtenue par nitration du phénol provenant des goudrons de houille, c’est le premier explosif de chargement « brisant » des obus. La faible solubilité de la mélinite dans l’eau froide entraîne une dilution lente, et en raison du débit d’eau, une faible concentration dans l’eau. L’acide picrique a été utilisé également comme colorant ou en solution pour le traitement des brûlures, sa toxicité n’est importante que dans le cas d’inhalation massive de poussières.

b) Le dinitronaphtalène : est un explosif peu sensible aux contraintes mécaniques, fondant à 140 degrés, et difficile à amorcer, c’est pour cette raison qu ‘il a été utilisé comme flegmatisant actif, avec la mélinite comme dans le cas présent. Il ne présente pas de caractère de toxicité supérieur aux autres dérivés nitrés aromatiques, sa faible solubilité dans l’eau froide entraîne comme pour l’acide picrique, une dilution lente et une faible concentration dans l’eau. Il est obtenu par nitration du naphtalène, utilisé comme répulsif pour les mites sous le nom de naphtaline.

c) La paraffine : la paraffine est un hydrocarbure saturé liquide pour « de 8 à 19 et solide pour « de 20 à 40. Dans les analyses effectuées, n est compris entre 8 et 25, il y a donc un mélange liquide-solide. La température de fusion de la paraffine solide est comprise entre 40 et 71 degrés. Elle était employée dans la fabrication des explosifs, comme flegmatisant lorsqu’elle était associée à la mélinite. La paraffine ne présente pas de toxicité particulière, elle a été utilisée sous forme d’huile pour un usage médical, ou pour protéger des denrées alimentaires contre l’oxydation.

CONCLUSIONS

Cette mission a permis d’avoir une vision plus précise des différents modèles d’obus, de leur chargement, et de leur état de conservation.
Néanmoins la masse totale de munitions en absence d’archives, est communément indiquée comme étant de 3 000 tonnes, ce chiffre n’est qu’une estimation dont l’origine est inconnue.

En ne tenant compte que pour la munition du plus petit (65 mm) et du plus gros calibre (220 mm) identifiées dans le gouffre de Jardel, et en optimisant le rangement de ces deux types de munitions dans un volume d’un mètre cube, la masse moyenne de ces deux types de munitions est de2739kg/m3.

La mission du 5 au 18 octobre 2010 a permis de mettre en évidence la présence de 17 types de munitions de 9 calibres différents (de 65 mm à 220 mm) et de 14 longueurs différentes (240 à 813 mm). La moyenne/m3 devrait être au moins inférieure de 30 à 40 % à la masse moyenne optimisée.

Il convient en outre de préciser que la surface du fond du gouffre n’est pas clairement établie, des éboulis étant présents en grande quantité. Ils semblent provenir tant d’avant que d’après le déversement des munitions en 1923.

Après exploration des siphons par les plongeurs spéléologues, il est apparu que les munitions n’avaient pas été déplacées alors même que la montée des eaux dans le gouffre recouvre les munitions pendant 4 à 6 mois sur une hauteur de un à une vingt mètres.

En conséquence, compte tenu de ces éléments une nouvelle mission d’une durée de 9 jours est programmée pendant la deuxième quinzaine de septembre 2011. Cette mission permettra de quantifier de manière plus précise le volume et le tonnage des munitions. Ces éléments sont primordiaux pour réaliser un suivi précis du site ».

Le point de vue de la CPEPESC

La CPEPESC va continuer à suivre avec attention l’évolution de ce dossier. Si effectivement, compte tenu des connaissances actuelles du problème de Jardel, les risques de pollution des eaux paraissent infimes, l’association reste plus circonspecte sur les risques d’explosion d’engins dont c’est la destination.
Quoi qu’il en soit, ces projectiles militaires, n’ont rien à faire au fond de ce gouffre. Et l’État ne devrait -il pas donner l’exemple en programmant le nettoyage de sa décharge sauvage explosive? (fr.D)

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Autre page sur Jardel :

11 novembre : Le « Trou de mémoire » du gouffre de Jardel