Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Lutter pour le climat et pas contre la biodiversité

publié le16 novembre 2021

La lutte contre les effets du dérèglement climatique ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité : exemple avec le parc photovoltaïque de CROTENAY (39)

Un parc photovoltaïque dans les Pyrénées orientales

Par un arrêté signé le 11 mars 2021, Monsieur le Préfet du Jura a accordé un permis de construire à la SARL CPV SUN 40, devenue SAS CPV SUN 40, pour la construction d’un parc photovoltaïque au sol sur la Commune de CROTENAY, au lieu-dit Champ des Laves, sur un terrain (parcelle cadastrée n°ZC 51) appartenant à la commune. 

Censé développer une puissance crête de 10,6 MWc, ce projet de centrale photovoltaïque était soumis à la délivrance d’un permis de construire (art. R. 421-1 et suivants du code de l’urbanisme) et à étude d’impact systématique (article L. 122-1 et annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement) depuis la promulgation du décret n°2009-1414 du 19 novembre 2009 entré en vigueur le 1er décembre 2009.

Le projet est prévu sur une surface totale de 11,6 ha en trois zones distinctes dont 5,4 ha portent sur l’implantation des installations nécessaires : modules photovoltaïques, postes de transformation et de livraison, citernes incendie et locaux préfabriqués “base vie” en phase chantier. Le parc comprend environ 27300 modules photovoltaïques au sol. La zone d’implantation potentielle (ZIP) représente quant à elle une surface de 28 ha, correspondant à la totalité de la surface de la parcelle cadastrée ZC 51. 

A la suite de son dépôt de demande de permis de construire et comme cela lui est imposé en vertu des textes législatifs et réglementaires en vigueur, la SAS CPV SUN 40 a produit une étude d’impact à l’appui de son projet.

C’est dans cette dernière que l’on apprend :

  • que le site est concerné par divers milieux naturels et encadre notamment une zone humide, des plans d’eaux et deux cours d’eau dont le principal, le Bief de Malaval, est couvert par un arrêté de protection de biotope “écrevisses à pattes blanches” du 01/07/2009 ;
  • que l’emprise du projet est localisée dans un corridor de zones humides de la sous-trame milieux humides et dans un réservoir de biodiversité des sous-trames milieux humides et milieux aquatiques du Schéma régional de cohérence écologique (SRCE) de Franche-Comté ;
  • que la zone d’implantation potentielle et l’aire d’étude immédiate sont incluses dans le périmètre de la ZNIEFF de type II “La Combe d’Ain”, caractérisée par des moraines favorables aux milieux humides herbacés et recoupent la ZNIEFF de type I “Etangs de Malaval, bief du Moulin et Ain”.

Ces zones d’inventaires (ZNIEFF) ou de protection (APPB, SRCE) ne sont pas anodines. Elles traduisent la présence de nombreux enjeux naturalistes (avifaune, amphibiens, chiroptères, odonates et rhopalocères).

La parcelle du site concernée (extrait géoportail)

Bref, autant d’éléments qui auraient dû interroger la société et lui suggérer de ne pas mener un tel projet en ce lieu.

Après un avis de l’Autorité environnementale compétente, la MRAe BFC, du 11 août 2020, auquel la société CPV SUN 40 a apporté des éléments de réponse le 9 septembre 2020, ce dossier a fait l’objet d’une enquête publique qui s’est déroulée en mairie de CROTENAY du 20 novembre au 21 décembre 2020 inclus.

La CPEPESC a présenté ses observations par courriel à Monsieur François GOUTTE-TOQUET, commissaire enquêteur. Insistant sur les enjeux environnementaux présents sur le site, elle indiquait qu’elle n’était pas opposée au développement des énergies renouvelables en soutenant toutefois prioritairement les filières locales et la couverture des bâtiments plutôt que l’implantation au sol et sous la réserve expresse que la biodiversité, dont l’appauvrissement et l’érosion sont partout signalés, n’ait pas à en pâtir. Or, le projet porté par LUXEL et sa filiale, la CPV SUN 40, ne permet pas d’atteindre l’objectif, inscrit au code de l’environnement, de l’absence de perte nette de biodiversité à court et moyen terme.

Elle concluait sans ambages de la sorte :

« Elle ne peut accepter l’idée que ce projet industriel, sous prétexte du développement des énergies renouvelables, puisse voir le jour en ce lieu eu égard aux impacts sur les milieux naturels qu’il engendrera immanquablement (défrichement, pose de 27 000 modules par pieux battus, c’est-à-dire par ancrage au sol avec injection de mortier, création de voiries sur 2,6 km, de tranchées de raccordement électrique, d’une tranchée de 8 km pour relier le poste de distribution, postes de transformation et de livraisons, pose des clôtures, etc.) et compte tenu de la nécessaire transparence écologique dont la filière photovoltaïque doit faire preuve.

Dans ces conditions, elle ne cache pas qu’elle s’opposera à ce projet, au besoin par la voie contentieuse, s’il venait à être autorisé. En attendant, au regard des éléments exposés, et pour tout autre à produire ou déduire, la CPEPESC, vous demande Monsieur le Commissaire-enquêteur d’émettre un avis défavorable ».

Malgré notre opposition et celles d’autres personnes physiques ou d’associations de protection de l’environnement, le projet a fait l’objet d’un avis favorable rendu par le commissaire enquêteur le 18 janvier 2021 sans aucune réserve, à la suite duquel, le Préfet du Jura a délivré, par arrêté du 11 mars 2021, le permis de construire sollicité par la SAS CPV SUN 40.

La CPEPESC a donc déposé un recours devant le tribunal administratif de Besançon le 11 mai 2021. A partir de cette date, la société pourtant restée totalement muette jusque-là a cherché à entrer en contact. Ne souhaitant pas interférer avec la procédure et se doutant des arguments que cette dernière défendrait, notre association a préféré ne pas y donner suite.

Les principaux moyens défendus devant le tribunal sont résumés ci-dessous.

Moyens de légalité externe :

-inadaptation du site à l’implantation d’un projet industriel

– lacunes et insuffisances de l’étude d’impact faune-flore

– sous-évaluation des enjeux écologiques du site

– caractère lacunaire de l’état des lieux initial et des méthodes d’investigation

– absence de justification du choix d’implantation

– défaut d’aperçu de l’évolution de l’environnement en l’absence de mise en œuvre du projet (art. R. 122-5 du code de l’environnement)

– absence de réelle prise en compte des impacts sur des habitats d’espèces protégées

– insuffisance des mesures ERC « Eviter-réduire-compenser » au regard de l’objectif de l’absence de perte nette de biodiversité inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement

– absence de mesures d’accompagnement permettant le maintien des enjeux faune-flore identifiés

– violation de l’article L. 122-1 du code de l’environnement

Moyens de légalité interne :

– défaut de mise en œuvre de mesures compensatoires au titre du permis de construire accordé

– erreur d’appréciation résultant de l’existence d’impacts résiduels significatifs

– défaut de prise en compte du schéma régional de cohérence écologique (SRCE) dans l’arrêté accordant le permis de construire

Visiblement, le recours n’est pas resté sans effet sur l’administration et le porteur de projet puisque par un mémoire en défense du 11 octobre 2021, le préfet indique avoir retiré la décision litigieuse par arrêté signé le 13 août 2021, expliquant que la société, reconnaissant les carences de l’étude d’impact, lui en avait fait la demande.

Carences et lacunes dont la société et l’Etat avaient pourtant parfaitement conscience dès le stade de l’enquête publique.

Ainsi, en signant le permis de construire qu’il savait entaché d’irrégularités et d’illégalités, le préfet a commis une erreur d’appréciation doublée d’une erreur de droit. Dans les circonstances de l’espèce, le retrait de l’arrêté ne saurait exonérer l’Etat de sa responsabilité et de son excès de pouvoir qui a contraint la CPEPESC, agissant dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes en tant qu’association agréée de protection de l’environnement, à introduire sa requête, en mobilisant des moyens humains conséquents, y compris salariés, dont attestent la consistance du recours et des pièces produites à son soutien.

La CPEPESC a donc demandé au tribunal à ce que l’Etat soit condamné au remboursement des frais irrépétibles. Ce dossier n’a à ce jour pas encore été audiencé.

Le projet n’en est pas pour autant abandonné, des études écologiques complémentaires seront menées en 2022 avant l’accomplissement d’une nouvelle procédure administrative qui pourrait déboucher sur une seconde enquête publique à l’horizon fin 2022-début 2023. La CPEPESC restera vigilante.

Ce dossier est en tout cas symptomatique de la manière dont l’État entend développer les projets dit d’énergie renouvelable, sans critique préalable, sans analyse constructive et au mépris d’autres enjeux telle que la préservation de la biodiversité. Ce n’est pourtant pas en détruisant ou en altérant/dégradant les habitats naturels et les espèces qu’ils abritent que la France pourra prétendre lutter efficacement contre les effets du dérèglement climatique.