Parc éolien des Hauts de la Rigotte 2 éoliennes sur 8 annulées
Au nord-ouest de la Haute-Saône, c’est seulement 2 éoliennes sur 8 qui ont annulées dans le projet de Parc éolien des Hauts de la Rigotte.
Par un arrêté portant autorisation unique signé le 20 juillet 2017, Madame la Préfète de la Haute-Saône avait autorisé la SAS Energies des Hauts de la Rigotte à exploiter un parc éolien composé de 8 aérogénérateurs d’une puissance de 28 MW maximum et de 2 postes de livraison sur le territoire des communes de Charmes-Saint-Valbert, Molay, La Quarte et La Rochelle.
Ce parc éolien jouxte un autre parc autorisé, du côté haut-marnais, celui de Vannier-Amance, porté par le même groupe industriel, et composé de 17 éoliennes dont les plus proches seraient distantes de moins de 2 km de celles du projet des Hauts de la Rigotte.
Au regard du risque que fait porter le projet sur la santé publique et la ressource en eau, des enjeux liés à la biodiversité et au paysage et nonobstant les mesures d’évitement et de réduction prises, la CPEPESC a saisi le 21 novembre 2017 le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation. (Voir : Des projets d’éoliennes oui, mais pas n’importe où, et n’importe comment!).
Par décision rendue le 25 juin 2020 la juridiction a annulé l’arrêté litigieux en tant qu’il octroyait l’implantation de deux éoliennes (E5 et E6) dans le périmètre de protection rapprochée du captage AEP (alimentation en eau potable) de la source de Merdry en estimant que cette illégalité entrainait la remise en cause de l’économie générale du projet.
Le développeur éolien et le ministère de la transition écologique et solidaire ont relevé appel de ce jugement.
La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu sa décision le 29 décembre 2021. Retenant le moyen tenant à l’atteinte à la ressource en eau de la Source de Merdry, elle réforme le jugement du tribunal du 25 juin 2020 et annule l’arrêté du 20 novembre 2017 en tant qu’il autorise (seulement) l’édification des éoliennes E5 et E6 :
Elle estime qu’ « au regard du caractère libre de la nappe, de la faible profondeur de la surface piézométrique existant dans le périmètre de protection rapprochée et de la perméabilité de la zone non immergée dans ce même périmètre, la vulnérabilité de la nappe était forte au droit des éoliennes E5 et E6 » et que, par conséquent, nonobstant les précautions spécifiques qui seraient prises, « l’arrêté litigieux méconnait les dispositions de l’article L. 511-1 du code de l’environnement en tant qu’il permet la construction et l’exploitation des éoliennes E5 et E6 ».
Ajoutant que « contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, ce moyen n’affecte qu’une partie divisible de l’arrêté litigieux et ne pouvait dès lors conduire à l’annulation de l’autorisation litigieuse qu’en tant qu’elle autorise la construction et l’exploitation des éoliennes E5 et E6 ».
En jugeant ainsi la Cour reconnait donc que les deux éoliennes en litige étaient bien susceptibles de porter atteinte à la ressource en eau.
Il restait toutefois aux juges du second degré, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, à examiner les autres moyens soulevés par la CPEPESC pour demander l’annulation du projet dans son entier, en particulier ceux tenant aux insuffisances de l’étude d’impact faune-flore et à l’absence de prise en compte d’espèces protégées à intérêt patrimonial.
S’agissant de l’enjeu lié à la présence d’une espèce emblématique, la Cigogne noire
Par un courrier adressé aux services de l’État antérieurement à l’enquête publique la CPEPESC précisait que :
- « La multiplication des données en période de reproduction depuis au moins les années 2012-2013, réitérées cette année encore au printemps, confirment le caractère effectif de la reproduction de la Cigogne noire sur cette zone située aux confins de la Haute-Saône et de la Haute-Marne et plus particulièrement sur les Grands Bois qui forment la limite entre les deux départements.
- Le doute sur la nidification de l’espèce sur le secteur n’est guère permis comme l’atteste du reste un agent de l’Office national des Forêts, correspondant du Réseau Cigogne noire en Haute-Marne : « Plusieurs observations ont eu lieu entre début mars et fin avril en 2015 et 2016, ces dernières données indiquent une forte probabilité de reproduction dans ce secteur ».
- Ainsi, elle s’étonne que l’étude d’impact comme l’Autorité environnementale n’en fassent nullement mention aujourd’hui et excluent cette espèce du champ de leur analyse respective. La Cigogne noire y est signalée mais uniquement en période de migration postnuptiale par l’observation d’un unique spécimen alors que le secteur voisin haut-marnais est classé en contrainte absolue dans le SRE Champagne-Ardenne et que le développeur éolien comme les services de l’État ont connaissance des données produites ci-après ».
Elle tirait de ces éléments que la zone concernée par l’implantation du parc éolien litigieux constitue assurément un « habitat d’espèce protégée », une aire de repos ou de reproduction de l’espèce, en application des dispositions fixées à l’article L. 411-1 du code de l’environnement et à l’article 3 de l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009. Alors qu’elle rappelait, dans ses écritures, que ledit arrêté encadre la protection des sites de reproduction et des aires de repos des animaux et que « les interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction », la Cour, elle, se borne à relever l’absence de découverte d’un nid dans les secteurs d’étude faisant totalement l’impasse sur les difficultés à trouver un tel nid chez cette espèce particulièrement discrète et rare. Dans le nouvel atlas des oiseaux nicheurs de Franche-Comté, le rédacteur de la monographie « Cigogne noire » écrit que les nids récemment trouvés (avant 2018), « déjà anciens, étaient passés inaperçus durant plusieurs années ».
Elle va même jusqu’à remettre en question les données collectées, au nombre d’une trentaine, sur le secteur par des observateurs locaux et saisies dans les bases Biolovision des délégations LPO Champagne-Ardenne et Franche-Comté : « les données réputées extraites de la base Visionature se présentent sous la forme d’une liste sans aucune possibilité d’identification de sa source et n’apportent, de plus, aucune précision quant à l’identité, les qualités et la compétence ornithologique des observateurs. Il n’est pas non plus indiqué les conditions dans lesquelles ces observations ont été effectuées ».
Ces observations ont été saisies dans des bases de données naturalistes soutenues financièrement par l’État et la Région. C’est à partir de ces données, par ailleurs examinées et validées par un Comité de validation, que l’administration met en œuvre ses politiques en faveur de la protection de la biodiversité, des habitats naturels et des espèces animales et végétales associées. Leur authenticité et leur véracité ne peuvent sérieusement être mises en doute.
Même le pétitionnaire en a reconnu le bienfondé dans son mémoire en réponse dans le cadre de l’enquête publique en précisant que « la LPO signale la présence de la Cigogne noire par le biais de ces bénévoles en 2015 et principalement en 2016 (où elle serait peut-être nicheuse) ».
A l’instar du commissaire enquêteur dans son rapport du 27 novembre 2016 qui en a clairement reconnu la validité et en a tiré les conséquences qui s’imposaient a minima en réclamant qu’une nouvelle étude soit menée sur cette espèce et que des mesures soient prises en sa faveur dans l’arrêté préfectoral.
Au vu de ces éléments et d’autres défendus en cours d’instance, la Cour ne pouvait ainsi rejeter les données produites comme elle ne pouvait se focaliser sur le seul critère « nid » alors même que dans un arrêt récent du 25 avril 2019 (n°18NC01099) elle a déjà eu à se prononcer et à tirer les conséquences légales de la réglementation sur les espèces protégées : « les parcelles en litige, qui se situent comme il vient d’être dit dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de population existants, constituent donc, comme les sites d’observation eux-mêmes, des aires de repos et de reproduction pour ces espèces protégées ».
La CPEPESC estime que les magistrats ont fait ici une inexacte interprétation de la réglementation applicable et des éléments de fait portés à leur connaissance.
Sur le défaut de prise en compte d’autres espèces protégées à intérêt patrimonial
L’analyse de la Cour sur ce point est tout aussi critiquable.
La CPEPESC a soutenu que la simple énumération d’une liste d’espèces n’assure absolument pas leur prise en compte effective et concrète et que l’étude d’impact a failli à son rôle d’information du public et à son devoir de transparence vis-à-vis des processus décisionnels susceptibles d’affecter l’environnement. Cette prise en compte s’entend par la mise en œuvre de mesures édictées suivant la démarche « Éviter, Réduire, Compenser » de l’étude d’impact absentes en l’état pour les différents enjeux ornithologiques concernés.
En substance, 17 espèces d’oiseaux à enjeu patrimonial, c’est-à-dire figurant en Listes rouges régionale ou nationale, dont la présence en période de reproduction ou la nidification sur l’aire d’étude n’est pas contestée par la SAS Energies des Hauts de la Rigotte, n’apparaissent ni dans le rendu cartographique des nicheurs patrimoniaux de l’étude d’impact, ni même dans le tableau sur le degré de patrimonialité. Elles ont donc été volontairement écartées de l’évaluation des enjeux alors que leur statut de conservation les place à un niveau au moins équivalent sinon supérieur (c’est le cas du Chardonneret élégant, de la Linotte mélodieuse et du Moineau friquet) aux seules espèces retenues arbitrairement par le pétitionnaire, au nombre de 7 seulement.
En procédant ainsi, en livrant à l’enquête publique une information lacunaire et erronée, le public tout comme l’autorité administrative en charge de l’instruction du dossier n’ont pas été en mesure d’apprécier concrètement l’intérêt du site pour l’avifaune et l’impact du projet sur les espèces concernées.
Surtout, en ne faisant qu’une analyse partielle, sur 7 espèces au lieu de 24, le pétitionnaire a prétendu, à tort, que les enjeux concernant l’avifaune étaient faibles.
De tout cela que retient la Cour : « Ainsi quand bien même l’étude avifaunistique et le résumé non-technique de l’étude d’impact se focalisent ensuite sur les huit espèces [au demeurant il s’agit de sept espèces seulement – ndr] qui sont soit inscrites à l’annexe I de la Directive Oiseaux, soit considérées comme déterminantes pour la désignation des ZNIEFF en Franche-Comté, la CPEPESC FC n’est pas fondée à soutenir que des espèces nicheuses présentes sur le site ont été exclues arbitrairement de l’étude d’impact ».
Il nous semble ici que la Cour procède d’une dénaturation des faits.
Sans critiquer plus avant la décision, quels brefs enseignements peut-on en tirer ?
D’une part, que le ministère, pourtant en charge de l’écologie, était prêt à sacrifier la santé et la salubrité publique au seul profit du développement de l’énergie éolienne.
D’autre part, que la Cour remet en question les apports du milieu associatif naturaliste et n’a toujours pas pris la mesure de la perte particulièrement préoccupante de biodiversité.