Sanction en appel de travaux préjudiciables aux habitats d’espèces protégées
Des travaux préjudiciables à la conservation d’espèces protégées et d’habitats d’espèces réalisés à HAUTEROCHE (39) ont été sanctionnés en appel le 5 mars 2024.
Cette affaire jugée en première instance devant le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier le 3 décembre 2021 était appelée devant la Cour d’appel de Besançon le 12 septembre 2023.
Il est vrai que le premier jugement avait relaxé les différents protagonistes au motif que les charges et les preuves n’étaient pas suffisantes et que le doute devait nécessairement profiter aux prévenus.
Pour mémoire, les prévenus, le Syndicat intercommunal des eaux (SIE) de l’Heute la Roche, la SARL Berest Rhin Rhône et la SAS Famy Bourgogne Franche-Comté ainsi que GARNIER Etienne et TAVERNIER Damien, respectivement président du SIE de l’Heute la Roche et chargé d’affaire/responsable du site de Besançon à la société Berest Rhin Rhône, comparaissaient pour répondre des faits d’atteinte non autorisée par personne morale à la conservation d’habitats d’espèces protégées (Sonneur à ventre jaune et Pie-grièche grise), de défrichement sans autorisation de bois ou de forêt d’un particulier par personne morale, d’exécution de travaux nuisibles à l’eau ou au milieu aquatique avant expiration du délai d’opposition indiqué dans le récépissé de déclaration et d’altération ou dégradation non autorisée de l’habitat d’une espèce animale protégée non domestique (Sonneur à ventre jaune et Pie-grièche grise) commis courant juin 2019 et jusqu’au 31 juillet 2019 sur la commune de HAUTEROCHE au sein d’une ZNIEFF de type I dans le cadre de travaux d’adduction d’eau consistant à raccorder, par la pose de canalisations, deux forages destinés à l’alimentation humaine à la station AEP du Syndicat des eaux de l’Heute la Roche.
A l’audience du 12 septembre 2023 où étaient représentées l’association Jura Nature Environnement et la CPEPESC Franche-Comté, le ministère public a, contre toute attente, déclaré se désister de son appel formé à l’encontre des relaxes intervenues des chefs de défrichement sans autorisation de bois ou de forêt d’un particulier par personne morale et d’exécution de travaux nuisibles à l’eau ou au milieu aquatique avant expiration du délai d’opposition.
Restait donc (seulement) à examiner au fond les faits tenant à l’atteinte portée à la conservation d’habitats d’espèces protégées par personne morale et à l’altération/dégradation non autorisée de l’habitat d’espèces animales protégées (Sonneur à ventre jaune et Pie-grièche grise), ces derniers faits étant reprochés et imputables aux deux personnes physiques.
Après une prorogation du délibéré, celui-ci devant être rendu initialement le 5 décembre 2023, la Cour a rendu son verdict le 5 mars 2024.
L’arrêt reconnait la matérialité des faits s’agissant tant du Sonneur à ventre jaune que de la Pie-grièche grise pour les deux personnes physiques et les trois personnes morales, le commanditaire, le maître d’œuvre et l’exécutant.
A la lecture des pièces versées aux débats, il précise qu’il ne pouvait être remis en question « que les travaux en cause aient porté une atteinte directe aux individus d’espèces protégées » dès lors « que les éléments rapportés dans la procédure établissent la présence certaine des deux espèces protégées » et « que les lieux, éléments physiques et biologiques présents font partie du domaine vital de ces espèces ».
De même, concernant l’élément moral et alors que le délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées relève désormais de la catégorie des délits non intentionnels puisqu’une faute par imprudence ou négligence suffit à caractériser l’infraction reprochée, la Cour a rappelé « que toutes les parties ont admis qu’elles étaient informées de la nécessité d’obtenir des autorisations, voire des dérogations, préalablement à la réalisation des travaux et que pour des questions de nécessité absolue ou d’urgences qui seront discutées plus loin elles n’ont pas respecté la procédure préalable » concluant que « les travaux ont donc été sciemment réalisés sans respecter aucune des procédures administratives destinées à rendre compatible la réalisation d’un projet et la préservation de la biodiversité et des milieux aquatiques ».
S’agissant de la responsabilité des personnes physiques, la Cour observe que Monsieur Etienne GARNIER « non seulement s’est affranchi en toute connaissance de cause des autorisations nécessaires avant l’engagement des travaux qu’il a ordonnés et supervisés mais il a manqué de prudence en ne procédant pas aux inventaires que conseillaient la DREAL, le conservatoire botanique et alors que la maire déléguée avait actualisé la situation des deux espèces protégées concernées en signalant leur présence avant les travaux » ; et que Monsieur TAVERNIER a eu un rôle majeur dans l’instruction du dossier administratif, « sa participation personnelle à la commision de l’infraction susvisée est établie, les éléments de fond sur l’élément matériel et l’élément intentionnel communs à Etienne GARNIER ci-avant rappelés permettent de le retenir dans les liens de la prévention ».
Enfin, sur la notion d’urgence invoquée en défense « sous peine de priver les communes d’un approvisionnement en eau », la Cour a justement précisé que « l’auteur d’un comportement fautif ne peut invoquer l’état de nécessité pour justifier son acte alors qu’une faute d’imprudence suffit à caractériser l’élément moral du délit d’atteinte à la conservation » d’espèces protégées d’autant que si la situation d’approvisionnement en eau aurait pu être préoccupante à moyen terme, « la réalisation des travaux dans l’urgence n’est aucunement démontrée, la privation d’eau pour les habitants des communes concernées apparaissant comme hypothétique relevant de simples allégations et n’étant justifiées par aucun document technique sérieux ».
En définitive, infirmant le jugement de première instance, elle a condamné les différents prévenus à des peines d’amende dont certaines assorties du sursis (1000 euros chacun pour MM. GARNIER et TAVERNIER, 5000 euros dont 2000 euros avec sursis pour le SIE de l’Heute la Roche et la SARL Berest Rhin Rhône et 2000 euros dont 1000 euros avec sursis pour la SAS Famy Bourgogne Franche-Comté), mais surtout elle a ordonné au titre de l’action civile – et suivant quasiment à la lettre les demandes de la CPEPESC – au SIE de l’Heute la Roche et la SARL Berest Rhin Rhône d’une part, de replanter 600 ml de buissons et d’arbustes d’essences locales et autochtones en formation linéaire ou par bouquets en faveur de la Pie-grièche grise, d’autre part d’aménager ou restaurer des habitats de reproduction favorables au Sonneur à ventre jaune ; ces mesures devant être réalisées sous le contrôle de la DREAL BFC et l’assistance technique de la LPO Franche-Comté dans un délai d’un an à compter du jour où la décision sera exécutoire sous astreinte de 20 euros par jour de retard à valoir pendant une durée de trois mois pour garantir leur mise en œuvre effective.
Cette décision a par ailleurs été assortie de l’exécution provisoire.
Enfin, outre la publication du dispositif dans l’Est Républicain aux frais des condamnés, ils devront verser solidairement des dommages et intérêts à la CPEPESC à hauteur de 4000 euros et lui rembourser ses frais de première instance et d’appel.
Compte tenu de l’extrême gravité des faits qui impactent des espèces à fort enjeu de conservation, cette décision était attendue et la CPEPESC n’en attendait pas moins.
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