Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

Haies et biodiversité : Les Ardennes ou la politique du laisser-faire

publié le8 mai 2022

Plusieurs exemples montrent que l’État, dans les Ardennes, préfère fermer les yeux plutôt que de défendre les écosystèmes malmenés par les activités humaines.

Le premier concerne les lourds travaux agricoles dénoncés par la CPEPESC enregistrés sur les années 2020 et 2021. Malgré nos alertes successives, l’État a laissé faire ce qui a conduit la CPEPESC Nationale à saisir le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (https://cpepesc.org/6-nature-et-pollutions/les-news/travaux-agricoles-dommageables-a-lenvironnement-dans-les-ardennes/).

Plus récemment encore.

Le 8 mars 2022, la CPEPESC avertissait la DDT et l’OFB de plusieurs cas d’arrachages de haies et autres éléments marquants du paysage sur le territoire des deux communes riveraines de BELVAL et d’HAUDRECY. 

En guise de réponse, la DDT, par la voix de la responsable du service environnement, s’est contentée d’adresser ce mail  le 15 mars :

« Je vous remercie pour ce signalement. Concernant la réglementation espèces protégées, pouvez-vous me communiquer les éléments qui vous portent à affirmer que les formations végétales en question hébergeaient des espèces protégées et que celles-ci en étaient dépendantes pour l’accomplissement de leur cycle biologique ? »

Afin de couper court à ce raisonnement récurrent de ce service, la CPEPESC y a répondu le 24 mars :

« Comme vous l’exposez dans la plaquette « haies » que vous avez publiée l’an dernier, ces éléments du paysage « ont des fonctions économiques, agronomiques, de soutien, sociales et culturelles. Elles sont aussi un lieu de vie pour la biodiversité ordinaire et protégée ».

C’est effectivement un fait incontestable, les haies forment des sites de reproduction mais aussi des aires de repos pour de nombreux passereaux qui sont tous protégés par la réglementation en vigueur.

En recoupant les données disponibles issues de la base naturaliste  www.faune-champagne-ardenne.org  avec les différents lieux-dits, la CPEPESC est en mesure de préciser que les secteurs, objet de notre signalement, en particulier à Haudrecy et à Belval (lieux-dits  la Chambre  et  les Matines), étaient connus pour héberger des spécimens d’espèces protégées dont plusieurs à enjeu patrimonial. La liste fournie dans notre mail du 8 mars dernier, non exhaustive, comprend uniquement les espèces patrimoniales inféodées en tout ou partie à ces milieux particuliers. Il s’ensuit que la suppression des haies ou des bosquets des terrains concernés constitue à tout le moins une altération, dégradation de ces habitats de reproduction (nous n’abordons volontairement ici que le seul aspect reproducteur), voire une destruction quand ces travaux conduisent à la suppression totale de ces formations végétales sur un parcellaire donné.

Et nul besoin de devoir démontrer que la haie ou le bosquet en question abritait un nid de l’une ou l’autre de ces espèces. Sinon à aucun moment ne pourraient être mises en œuvre les dispositions fixées à l’article L. 411-1 du code de l’environnement et à l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009  fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

Comme le rappelle le guide ministériel de 2013 sur  « les conditions d’application de la réglementation relative à la protection des espèces de faune et de flore sauvages et le traitement des dérogations », pour ces espèces à enjeu de conservation réputées utiliser d’une année sur l’autre le même site de reproduction  « l’interdiction de destruction, d’altération ou de dégradation s’applique, même en l’absence d’animaux d’une espèce donnée, dans un lieu donné, dès lors que celui-ci présente les caractéristiques recherchées par cette espèce et que ce lieu se situe dans le rayon de déplacement naturel des animaux d’un noyau de population de cette espèce » ajoutant que cette interdiction est valable « toute l’année pour les espèces qui réutilisent le même site de reproduction lors de chaque cycle de reproduction ».

Il serait grand temps que les services de l’État prennent la mesure des impacts de ces travaux conduits par une certaine catégorie d’agriculteurs uniquement engagés dans un processus de rationalisation de leur exploitation au mépris de la biodiversité et de la réglementation « habitats et espèces protégées ». Prise de conscience d’autant plus capitale et urgente que notre planète fait face aujourd’hui, la France ne fait pas exception, à la sixième extinction de masse ».

Quant aux nids d’hirondelles

Enfin, le 4 mai 2022 dernier, la CPEPESC avertissait l’OFB d’un risque imminent de perturbation/destruction d’une colonie d’Hirondelle de fenêtre dans la commune de WARCQ, la pose d’un échafaudage en façade faisant craindre de l’engagement imminent de travaux préjudiciables à la colonie nicheuse forte de 7 couples.

La CPEPESC y précisait :

« Cette opération, totalement inadaptée à cette période, indique que le donneur d’ordre n’a pas déposé de demande de dérogation au régime de protection des espèces. Outre la perturbation intentionnelle, intérêt visé à l’article susvisé du code de l’environnement et constitutif d’une contravention de la 4ème classe, elle pourrait s’accompagner de la destruction des nids lors de l’engagement des travaux projetés, délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende en application de l’article L. 415-3 du même code ».

Et l’association demandait à l’OFB d’intervenir diligemment pour mettre fin aux troubles en stoppant les travaux.  

Si intervention il y a bien eu dès le 4 mai au matin, d’abord par la police municipale (destinataire en copie de notre signalement) puis par un agent de l’OFB, ce dernier n’a en revanche pas interrompu les travaux. Voici la réponse communiquée :

« Nous avons rencontrer les propriétaires de l’habitation qui nous ont expliqué que l’échafaudage a été monté dans un but de réfection de toiture et non de ravalement de façade. Ces travaux ne détruirons donc pas la colonie d’hirondelle des fenêtres.  Les travaux de toitures les plus chronophages sur l’autre côté de la maison. Nous avons conseillé à ces personnes de demander à leur couvreur de passer le moins de temps possible sur l’échafaudage à proximité des nids afin d’éviter au maximum toute perturbation du cycle de vie et de reproduction de ces oiseaux »

Une telle explication n’est pas de nature à nous rassurer car si l’intégrité physique des nids ne sera pas, pour l’instant, compromise, en revanche le risque est élevé de voir les adultes les abandonner en raison de l’activité du personnel de l’entreprise (allers-et-venues, bruit et vibrations en toiture, etc.).

La CPEPESC a demandé à l’OFB de réaliser un contrôle de la fonctionnalité/fréquentation de la colonie en journée en présence des ouvriers. A suivre.

En attendant, même pour un dossier aussi simple, force est de constater que l’État n’est même pas en mesure de prendre la décision qui s’impose et que malheureusement la biodiversité en sort toujours perdante. 

Le préfet des Ardennes a déclaré que la prévention et la pédagogie sont privilégiées par ses services et les considèrent comme les solutions les plus efficaces pour traiter de tels faits.

N’en déplaise à Monsieur le préfet, dans notre société moderne, la prévention et la pédagogie, que la CPEPESC pratique également, sont sans effet si elles ne s’accompagnent pas d’un volet répressif pour contraindre les plus insouciants ou récalcitrants à respecter les lois de la République. 

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