Commission de Protection des Eaux, du Patrimoine, de l'Environnement, du Sous-sol et des Chiroptères de Franche Comté

L’État condamné à exiger réparation pour travaux agricoles néfastes à la Nature.

publié le12 janvier 2023

Travaux agricoles dommageables à l’environnement sur les communes de QUERS, DAMBENOIT-LES-COLOMBE et ADELANS-ET-LE-VAL-DE-BITHAINE (70) : le préfet condamné à faire mettre en œuvre par l’exploitant des mesures de réparation et de compensation

C’est l’histoire d’une campagne ravagée, d’une aube qui ne chante plus. Comme à SEMMADON (cf. articles mis en ligne le 22 décembre 2019 et le 22 mars 2017), l’histoire se suit et se ressemble. Comme à SEMMADON un autre jeune agriculteur totalement indifférent des préoccupations environnementales a sévi à peu près à la même époque.

Entre 2012 et 2013, des travaux agricoles particulièrement dommageables pour l’environnement ont en effet été engagés sur le territoire des communes de QUERS, DAMBENOIT-LES-COLOMBE et ADELANS-ET-LE-VAL-DE-BITHAINE dans le but de convertir des parcelles prairiales en champs de céréales.

Ils ont mené à la suppression, sur près de 66 hectares, de la totalité des prairies, de plusieurs centaines de mètres linéaires de haies et de très nombreux bosquets ou arbres en alignement ou isolés.

Et ont été réalisés sur deux zones : une zone nord, comprise en grande partie dans le périmètre du site NATURA 2000 « Vallée de la Lanterne », sur les parcellaires situés aux lieux-dits Champs Saint-Laurent, Faux d’Angles et Les Graviers, et une zone sud à hauteur des lieux-dits Les Lauchères, En Couillard. Le responsable des travaux est Monsieur Alexandre BLONDÉ.

Ce territoire constituait pourtant des habitats de repos et/ou de reproduction de plusieurs espèces d’oiseaux d’intérêt patrimonial, toutes protégées au titre des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement par l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009, dont la conservation est étroitement liée au maintien de vastes ensembles prairiaux bocagers : Pie-grièche grise (hivernage), Pie-grièche écorcheur, Pipit farlouse, Tarier des prés, Torcol fourmilier, etc.

Faute pour l’exploitant d’avoir mis en œuvre les mesures de prévention nécessaire et en l’absence de toute régularisation administrative, la CPEPESC avait donc adressé un recours gracieux à la préfecture .

Confrontée au silence coutumier de l’autorité préfectorale, la CPEPESC a saisi le tribunal de céans d’un recours en annulation contre son refus d’agir.

Outre l’annulation du refus d’agir préfectoral, elle lui demandait à titre principal :

  • d’enjoindre au préfet de prescrire, par une décision motivée, après avoir mis l’exploitant en mesure de présenter ses observations, les mesures de réparation appropriées en application de l’article L. 162-11 du code de l’Environnement ;
  • d’enjoindre au préfet de prendre cette mesure d’exécution dans un délai n’excédant pas deux mois à compter de la notification du jugement et d’assortir cette injonction d’une astreinte de 200 euros par jour de retard en application de l’article L. 911-3 du CJA ;

Ou à titre subsidiaire  d’enjoindre au préfet de mettre en demeure, conformément à l’article L. 171-7 du code de l’environnement, Monsieur Alexandre BLONDÉ de régulariser sa situation en déposant un dossier de dérogation au titre des espèces protégées et des habitats d’espèces protégées dans le respect de l’arrêté du 19 février 2007 modifié fixant les conditions de demande et d’instructions des dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement en prononçant cette mise en demeure dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement assorti de la même astreinte de 200 euros.

Après une audience qui s’est tenue le 30 août 2022, la décision est tombée le 20 septembre dernier :

Le tribunal a reconnu qu’ « en se bornant à affirmer, dans ses écritures enregistrées devant le tribunal le 1er décembre 2020, qu’une procédure administrative a été engagée après l’introduction de la requête pour obtenir de M. Blondé un dossier de réparation des dommages causés aux habitats d’espèces protégées mais que les services de l’État n’ont pas encore eu communication d’une étude d’évaluation de la nature et des conséquences du dommage, circonstance qui ne lui permet pas d’apprécier l’atteinte portée à l’environnement, le préfet de la Haute-Saône ne peut pas être regardé comme justifiant avoir mis en œuvre les pouvoirs qu’il détient des articles R. 162-4, L. 162-6 et L. 162-11 du code de l’environnement. Par suite, et compte tenu des délais écoulés depuis que les faits en cause ont été portés à la connaissance des services de l’Etat dans le département de la Haute-Saône, le préfet de la Haute-Saône a méconnu ces dispositions ».

Et a enjoint au préfet – c’est une première ! – de faire mettre en œuvre par M. Blondé les mesures de réparation définies aux articles L. 162-3 à L. 162-12 du code de l’environnement, dans le délai de trois mois suivant la notification du présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Qu’on se le dise, la Haute-Saône, département où il fait encore bon vivre, ne deviendra pas le terrain de jeu d’une certaine catégorie d’agriculteurs, uniquement préoccupés par la rentabilité de leur exploitation à court terme au détriment de la préservation de la biodiversité, enjeu tout aussi fondamental que l’enjeu climatique.

La CPEPESC continuera à tout mettre en œuvre pour les empêcher de réduire le vivant à néant.

État du site au lieu-dit Faux d’Angles en 2019 :
un vaste champ cultivé remplace l’ancienne prairie où s’observaient des haies et de nombreux bosquets

INFORMATIONS postérieures à cette article

A la suite du jugement du tribunal administratif qui a sanctionné son inaction le préfet de Haute-Saône a procédé à une mise en demeure le 23 décembre 2022 l’exploitant de déposer un projet prévoyant  les mesures de réparation adaptées à la biologie des espèces impactées.

Sauf que cette mise en demeure n’offre pas les garanties d’une remise en état telle que la tribunal l’a ordonnée. La CPEPESC a donc sans tarder, le 29 décembre 2022, adressée une lettre au Préfet :

Elle « constate que ce premier arrêté, d’une part, vient seulement d’être pris alors même que le délai accordé par le tribunal pour obtenir de l’intéressé la mise en œuvre de la réparation attendu a déjà expiré, d’autre part et surtout, qu’il n’apparait même pas, en l’état, respecter les attendus requis au titre des articles L. 162-6 à L. 162-12 du code de l’environnement (PJ 1) qui imposaient de suivre scrupuleusement la procédure prévue par les textes en commençant par procéder à l’évaluation de la nature et des conséquences des dommages sur les habitats d’espèces protégées (haies, bosquets, arbres isolés et zones prairiales) (art. L. 162-6) avant de solliciter le projet de l’exploitant décrivant les mesures de réparation appropriées au regard des objectifs définis à l’article L. 162-9 (art. L. 162-7) :

« Les mesures de réparation des dommages affectant les eaux et les espèces et habitats mentionnés aux 2° et 3° du I de l’article L. 161-1 visent à rétablir ces ressources naturelles et leurs services écologiques dans leur état initial et à éliminer tout risque d’atteinte grave à la santé humaine. L’état initial désigne l’état des ressources naturelles et des services écologiques au moment du dommage, qui aurait existé si le dommage environnemental n’était pas survenu, estimé à l’aide des meilleures informations disponibles ».

            Comme vous l’observez, les mesures de réparation pressenties visent à rétablir les sites endommagés dans leur état initial, lequel désigne sans ambiguïté « l’état des ressources naturelles et des services écologiques au moment du dommage ».

            En orientant surtout l’exploitant sur la (seule) replantation de haies et sur le simple maintien de bandes enherbées, alors que les travaux reprochés ont mené à la suppression, sur près de 66 hectares, de la totalité des prairies, de plusieurs centaines de mètres linéaires de haies et de très nombreux bosquets ou arbres en alignement ou isolés sur le territoire de trois communes (QUERS, DAMBENOIT-LES-COLOMBE et ADELANS-ET-LE-VAL-DE-BITHAINE)[1], vous prenez à tort le parti d’une compensation a minima et non d’une réparation telle que prévue et réclamée par le titre VI du livre Ier du code de l’environnement.

            Partant de ces considérations minimalistes, l’arrêté qui serait signé aux termes de la procédure (art. L. 162-11), légalement à même de satisfaire –bien qu’avec un retard déjà certain– à la décision rendue en septembre dernier par le Tribunal, encourrait immanquablement la censure de la juridiction administrative.

            Nous tenions à vous en informer dès à présent et vous encourageons vivement, afin d’éviter tous risques d’insécurité juridique liés aux décisions à venir, à prendre dans les circonstances de l’espèce les (bonnes) résolutions quant au respect des lois de notre pays en matière de préservation de la nature et de la biodiversité.

            Il vous reviendra notamment d’y procéder en appliquant strictement ici les dispositions législatives et réglementaires concernées du code de l’environnement, et tout particulièrement celles de son article L. 162-10 :

« Après avoir, le cas échéant, demandé à l’exploitant de compléter ou modifier ses propositions, l’autorité visée au 2° de l’article L. 165-2 les soumet pour avis aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, aux établissements publics et aux associations de protection de l’environnement concernés en raison de leur objet, de la localisation, de l’importance ou de la nature du dommage. Elle les soumet également aux personnes susceptibles d’être affectées par les mesures de réparation. Elle peut les mettre à disposition du public ».


[1] Au seul lieu-dit Faux d’Angles, l’ONCFS faisait déjà état, outre la conversion de 26 hectares de prairies en cultures (40 hectares in fine) de la destruction de 980 ml de haies et de 320 buissons et bosquets.